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surtout dans les massifs laissés en repos depuis longues années. La belle et riche forêt du Hohwald, appartenant à la ville de Strasbourg, en offre des exemples au-dessus de la cascade que visitent les touristes. Ailleurs, sous une haute futaie de hêtres de cent ans, oubliée dans un des coins les plus ignorés de l’Alsace, se trouvent des sapineaux nombreux, élancés, de 6 à 8 mètres de hauteur au moins, qui montent seuls vers le dôme formé par les cimes des grands hêtres. Vus par la brume grisâtre qui se produit en été sous le massif, après une forte pluie, ces noirs sapins se détachent très bien parmi les fûts des hêtres. On sent que chacun d’eux attend la coupe ou la mort naturelle du hêtre qui le domine pour se développer à sa place. A découvert, le hêtre prime donc le sapin dans la jeunesse ; sous le couvert, c’est le sapin qui à la longue dépasse le hêtre.

La méthode des éclaircies consiste à desserrer graduellement les arbres d’un massif de manière à assurer le développement naturel des tiges. Elle permet de favoriser la croissance des bois et aussi d’en assurer la reproduction en disposant en temps utile des produits de tous genres. Les éclaircies proprement dites ont surtout pour objet l’amélioration du massif ; les coupes principales ont pour résultat la régénération simultanée sur une même surface qui sera dès lors peuplée de sujets tous d’un même âge et formant un massif régulier. L’éducation des bois en massif régulier et uniforme est favorable à toutes les essences sociales. Ainsi, dans les sapinières comme dans les forêts de hêtre, les plus beaux peuplemens sont ceux qui se rapprochent de cet état. Bien que nos sapinières aient été généralement jardinées, on y trouve par exception des massifs entièrement uniformes. Il s’en présente ainsi dans la charmante forêt de Lamark, qui occupe le bassin du Bœrenbach, affluent de la Zorn, au-dessus de Saverne. Autrefois exploitée à tire et aire, elle est par suite beaucoup plus riche en hêtre qu’en sapin ; celui-ci cependant s’est maintenu, après les coupes à blanc étoc, sur quelques versans frais et ombreux. Ainsi au canton de Gemsenberg se trouve, ou du moins se trouvait avant 1870, une futaie régulière de magnifiques sapins de cent trente à cent quarante ans. C’était le long de la belle route forestière du Haberacker, qui remonte la vallée du Bærenbach et s’élève jusqu’au pied de l’Ochsenstein, énorme poudingue dominant toute la forêt, ses vallées, ses versans, ses crêtes, ainsi que la plaine d’Alsace et les campagnes de Lorraine.

Il n’est pas contestable que les sapins et les épicéas, élevés en massif régulier, peuvent donner les meilleurs produits ; mais, à l’inverse des bois feuillus, ils s’accommodent également bien d’être étages, et ils n’exigent pas d’être éclaircis pour arriver à former de gros arbres. Les éclaircies y sont utiles, mais non pas nécessaires ;