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Cette poétique page est empruntée au livre que M. Edgar Quinet a intitulé De la Grèce moderne et de ses rapports avec l’antiquité. Ce qui m’y frappe surtout, c’est le caractère profondément historique du tableau. Le comte Capodistrias, entouré de ces lions muselés, nous représente exactement la Grèce de 1829. Je n’ai vu nulle part les deux périodes de la lutte de l’indépendance, la période guerrière et la période diplomatique, exprimées avec autant de précision et de force. L’auteur éclaire tout son récit et nous en donne le véritable sens lorsque, montrant Kolokotroni à côté du comte Capodistrias, il écrit ces paroles : « Le président le menait en laisse, tout frémissant, à travers la Morée, pour le faire assister à sa popularité naissante. Quoique le vieux chef n’eût alors rien perdu de la sienne, l’épreuve était bien dure. »

Ce diplomate, qui, de sa main fine et souple, menait en laisse les plus terribles chefs, espérait bien conduire de même les plénipotentiaires des puissances alliées ainsi que les candidats au trône. Les notes de Charles Stockmar sur les négociations de 1829 nous expliquent beaucoup mieux qu’on n’a pu le faire jusqu’ici le rôle du prince Léopold en toute cette affaire. Ce rôle est plein d’indécisions, de contradictions, d’obscurités profondes, et finalement il a valu au prince des reproches venus de très haut. Il suffit de rappeler les faits pour montrer que, si les reproches étaient mérités, les motifs d’ambition égoïste imputés au prince étaient complètement inexacts. Le seul tort du prince dans ce singulier imbroglio, tort bien grave il est vrai, est d’avoir trop subi l’influence du comte Capodistrias. Parlons franc et disons le mot juste : le prince s’est laissé jouer par le président. C’est le président qui a tout fait. Voyez plutôt. Le prince demandait au président de provoquer une manifestation quelconque en sa faveur, de telle sorte que, désigné par un appel du congrès national, il eût qualité pour plaider la cause des Grecs et réclamer en leur nom une extension de territoire. « Je n’ai pas ce droit, répondait le président, le congrès ne peut exprimer de vœux ni pour le choix du souverain ni pour le tracé des frontières ; le protocole du 22 mars s’y oppose. Ce serait nous aliéner la conférence de Londres, ce serait contrarier les puissances. »

Cependant, lorsque le congrès national se réunit dans Argos quelques mois après (la session dura vingt-six jours, du 23 juillet au 18 août 1829), le comte Capodistrias, qui par ses amis était maître de la majorité du congrès, ne crut pas contrarier les puissances en faisant voter l’expression du sentiment national au sujet des frontières. Quant à un acte législatif désignant et appelant le prince Léopold, il se garda bien de le provoquer. Un mois après, le 14 septembre, le traité d’Andrinople assure l’existence de la Grèce,