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de médiocre profondeur. Sur la section sud, la garnison d’un fortin comprenait d’ordinaire trois ou quatre Indiens amis, chargés de veiller sur les chevaux, et deux ou trois gardes nationaux chargés de veiller sur les Indiens amis. Arrachés à leurs foyers pour ce monotone et périlleux service, munis d’un vieux fusil qu’ils ne savaient point manier, oubliés parfois des années entières dans ces atroces prisons en plein air, mal payés et manquant de tout, ces pauvres diables de gardes nationaux n’avaient guère le cœur à surveiller les environs. Ils se hasardaient peu hors de leur fortin en temps ordinaire, et en temps d’invasion s’y tenaient coi, après en avoir mis préalablement à la porte leurs Indiens auxiliaires, de pour d’être assassinés par derrière en cas de siège. De distance en distance, les fortins avaient un officier, qui, mélancoliquement appuyé sur le parapet croulant, y passait son temps à demander au ciel quel crime il avait pu commettre pour se voir condamné à une pareille existence. Quant aux signaux à coups de canon, c’était un moyen assez rapide, mais bien imparfait de correspondre avec le fort central, car il ne lui apprenait rien sur le point par où étaient entrés les envahisseurs et sur la direction qu’ils suivaient. Le chef de frontière après cet avis incomplet, au lieu de courir aux Indiens, en était réduit ou à attendre, l’arme au pied, des courriers qui pouvaient rester en route, ou à longer les fortins pour aller prendre la piste au début. S’il adoptait ce dernier parti, il lui arrivait parfois de marcher parallèlement aux sauvages, mais juste en sens inverse. Il suffisait que, prévoyant sa manœuvre, ils ne franchissent pas la ligne à la hauteur des points qu’ils voulaient attaquer, et qu’une fois en dedans ils galopassent quelque temps droit devant eux pour reprendre ensuite la direction de leur objectif véritable. Dans ce cas, ils pouvaient piller à loisir et repartir sans se presser ; ils étaient à peu près sûrs que les troupes ne regagneraient pas l’avance qu’élises leur avaient laissé prendre. Les fortins étant presque tous en vue les uns des autres, il est inconcevable qu’on n’ait pas songé à organiser un système de signaux plus satisfaisant ; mais, depuis Sierra-Chica, qui donc avait sérieusement songé à améliorer le service des frontières ?

Il est vrai que don Adolfo Alsina était depuis quelques mois ministre de la guerre. Or il a fait de la solution de la question indienne la promesse la plus séduisante comme aussi la plus en relief de son programme politique. Il s’était mis immédiatement à l’œuvre ; mais l’entreprise qu’il méditait n’était pas de celles qui s’improvisent. Son plan, aujourd’hui en voie d’exécution, était d’avancer la frontière et d’y englober, pour la province de Buenos-Ayres seulement, environ 4,000 lieues carrées de plus de territoire. Ces 4,000 lieues étaient la petite affaire. Le double avantage de l’opération militaire projetée, c’était d’un côté d’éloigner le front de