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mer, dit le comte de Saint-Vincent, nous appartient-il d’encourager l’adoption d’un instrument de guerre qui peut nous l’enlever ? » La commission française confirmait au même moment cette opinion en disant, dans son rapport sur les essais de Fulton : « Qu’adviendra-t-il des marines futures quand à tout moment un vaisseau pourra être lancé en l’air par un bateau plongeur dont aucune prévision humaine ne peut vous sauvegarder ? » Pitt enfin, d’accord avec l’amirauté britannique, au moins à cet égard, ajoutait : « Un tel système, s’il réussit dans la pratique, ne peut manquer d’annihiler toutes les marines militaires. »

Repoussé en France et en Angleterre, l’inventeur fort éclectique qui, après avoir offert à la France de détruire la flotte anglaise, avait essayé pour le compte de l’Angleterre de détruire la flottille française réunie à Boulogne, retourna en Amérique, où son projet fut également proposé au gouvernement des États-Unis. L’insuccès fut le même. Les expériences tentées en présence d’une commission ne donnèrent aucun résultat praticable. Fulton était évidemment en avance sur son temps. Il ne profita pas de son invention, mais plus tard à New-York on dut se repentir de l’avoir dédaignée. Lors de la guerre avec les états du sud, ceux-ci n’avaient pas de flotte à opposer à la marine de leurs adversaires. Ils cherchèrent le moyen de compenser leur infériorité à la mer. Vers la fin de 1862, ils formèrent un corps de torpilles, et presque aussitôt ils recueillirent les fruits de cette organisation. Un officier de la marine des États-Unis, M. Barnes, a décrit, dans un livre intitulé Submarine warfare, les principaux incidens de ce nouveau genre de guerre. Des torpilles à poste fixe avaient été posées par les confédérés dans les principales rivières. Au mois de décembre 1862, le Cairo, un des plus puissans cuirassés de la marine des états du nord, fut entièrement détruit par l’explosion d’un de ces engins. « Douze minutes après, il coulait par 6 brasses d’eau. » Trois mois plus tard, le Montauk, un monitor, ayant heurté une torpille, fut obligé de s’échouer. On consacra plus d’un mois à le réparer. Cinq mois ensuite, la canonnière Baron de Kalb toucha une de ces caisses venimeuses et coula en moins d’un quart d’heure. Le mois suivant, une torpille éclata sous une autre canonnière, Commodore Barney. Le navire fut presque chaviré et subit des avaries considérables. S’il évita une ruine complète, c’est que la torpille avait mal fonctionné. Le 1er avril 1864, le transport Maple Leaf fut complètement détruit dans une rivière de la Floride. À la même époque, un bâtiment cuirassé, Eastport, fut totalement brisé et coula immédiatement.

La liste est longue des bâtimens qui furent coulés par les torpilles. La nomenclature se termine par la perte de deux monitors dont l’un, appelé Milwaukie, sombra par l’arrière en trois minutes.