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la Prusse, les Hollandais et les Belges étaient face à face comme en un champ clos. La guerre semblait imminente. Des deux côtés, on faisait les plus sérieux préparatifs. Stockmar ne cessait d’écrire au roi Léopold pour le préserver des entraînemens. « Malheur, disait-il, à qui donnera le signal ! » Voici une de ces lettres en date du 1er avril 1882 :


« L’Angleterre et la France sont absolument opposées à la guerre. Celui qui déclarera la guerre deviendra, ipso facto, l’ennemi direct de lord Grey et de Casimir Perier. Il n’y a pas à douter un instant que lord Grey ne permettra pas plus aux Belges d’attaquer les Hollandais qu’aux Hollandais d’attaquer les Belges. Le premier but de la politique du roi des Belges doit être d’empêcher le partage de la Belgique. S’il évite la guerre, je ne vois pas comment les Hollandais feront réussir l’idée de ce partage ; s’il la commence lui-même, il ouvre la boîte de Pandore d’où sortiront toutes les nouvelles combinaisons possibles. Il donne à la France le moyen de se dégager des traités et d’inaugurer une nouvelle politique dont le résultat sera le partage du royaume. Je proteste donc et de la façon la plus solennelle contre toute idée de guerre… Qu’y pourrions-nous gagner ? Il n’y a que deux cas à prévoir, la victoire et la défaite. La victoire ? elle aurait elle-même ses dangers. Une foule de prétentions insensées se réveilleraient parmi nous, les passions des partis s’en accroîtraient, cela seul aurait pour effet d’ajourner la paix avec la Hollande et de la rendre plus difficile encore. Ne serait-ce pas aussi pour les puissances une occasion d’intervenir et peut-être un motif de changer leur politique ? Quant à la défaite, je n’ai pas besoin de dire quelle serait la position du roi, s’il était obligé de s’avouer à lui-même qu’il a volontairement attiré sur le pays une seconde déconfiture[1]. Les entraves que l’état présent des choses met à l’administration intérieure, au commerce, à l’industrie, l’influence funeste qu’il exerce sur les dispositions politiques du peuple belge et même sur la considération personnelle du roi, toutes ces choses disparaissent comme une taupinière devant les montagnes de difficultés que la guerre soulèverait du soir au matin ? »


Stockmar a mille fois raison. Si la Belgique en 1832, irritée des lenteurs que mettaient les puissances du nord à ratifier le, traité du 15 novembre 1831, eût déclaré la guerre à la Hollande pour l’obliger à reconnaître ce traité, l’œuvre si laborieuse des deux dernières années courait le risque d’être anéantie. Ni l’Angleterre ni la France ne lui eussent pardonné une agression d’où pouvait sortir une guerre européenne. Victorieuse ou vaincue dans cette lutte ; elle aurait perdu l’appui des deux puissances qui avaient travaillé

  1. Ce mot est en français dans le texte allemand de Stockmar.