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franchit pas moins assez rapidement les 1,100 verstes qui le séparaient encore du mouillage de Rose-Island. Là, il trouva le Bonaventure et ne s’occupa plus que de préparer son vaisseau à subir les épreuves de la grande traversée de la Mer du Nord. Quant à Willoughby et à ses compagnons, il laissa aux Russes le soin d’en rechercher les traces.

Dès les premiers jours de l’été, l’Edouard-Bonaventure reprenait la mer. S’aidant habilement des courans de marée, jetant l’ancre souvent, mais ne négligeant jamais un souffle favorable, Chancelor franchit sans encombre les 80 lieues qui séparent le fond de la baie de la péninsule de Kola. La traversée dès lors s’annonçait facile. Des corsaires flamands arrêtèrent cependant sur la route Chanceler et se permirent de mettre son navire au pillage. De pareils épisodes devaient toujours entrer, à cette époque, dans les prévisions du navigateur. Il n’y avait qu’un capitaine novice qui eût pu s’en montrer surpris ou s’en émouvoir. La fâcheuse rencontre n’a pas trouvé place dans le récit de Clément Adams ; les annales de la compagnie seules en font mention. Détail de peu de valeur, en effet, car l’été de 1554 ne se passa pas sans que Chancelor eût réussi à ramener sous les quais de Ratcliffe le vaisseau qui le premier dépassa le port de Varduus et fixa le contour des parties septentrionales du globe terrestre.


III

Quel est le marin qui, au moment où il perdait de vue les côtes de la patrie, ne s’est pas demandé, avec un certain serrement de cœur, ce que le retour lui réservait ? Quel est celui qui, déjà vieilli dans la carrière, le front penché sur de douloureux souvenirs, s’éloigne avec la pleine confiance de retrouver, quand il pourra de nouveau fouler le sol natal, « les hommes et les choses à leur place ? » Chancelor n’avait pas cette heureuse fortune. Non-seulement ce n’était plus le même souverain qui occupait le trône, mais il était à craindre qu’un esprit différent dominât à la cour. Consumé par une lente affection de poitrine, Edouard VI était mort au mois de juillet 1553 ; Jeanne Grey avait régné quelques jours à peine. Chère au protestantisme, sa jeune tête ensanglantait, le 12 février 1554, le fatal billot. Le catholicisme triomphait, et c’était la fille de Catherine d’Aragon, la reine Marie Tudor, qui allait recevoir des mains du capitaine du Bonaventure la lettre adressée par Ivan Vasilévitch au fils de Jeanne Seymour.

En 1552, le parlement avait paru comprendre la nécessité de soustraire l’industrie et le commerce de la Grande-Bretagne à une tutelle dont les exigences croissaient de jour en jour. Il supprima le