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Ce ne sont là que les petites misères de la vie des camps. Il en est d’autres que le peintre agile nous dessine avec le même entrain, la marche d’été par exemple, aggravée par la soif, la poussière et les implacables ardeurs du beau soleil d’Italie, qu’on admire tant, mais surtout de loin. Il y a encore les ennuis de la caserne, le sommeil agité de l’officier qui doit faire la route de nuit et qui a la faiblesse de s’endormir en attendant l’heure fatale. Il y a des épreuves plus dures, la guerre par exemple, qu’on ne peut éviter dans un livre qui raconte la vie du soldat ; toutefois M. de Amicis a cela de bon qu’il ne fait pas de stratégie. Il ne raconte que ce qu’il a vu. Ses souvenirs de Custozza font penser aux Souvenirs de Waterloo, par Stendhal ; mais le romancier français tient trop à m’étonner, et je ne peux l’écouter sans défiance. Le narrateur italien, moins soucieux de l’effet qu’il veut produire, obtient avec moins d’efforts plus de crédit. Il se suppose dans un salon, où on lui demande le récit de la bataille. Il consent à le faire, à la condition de s’en tenir aux incidens qui se sont passés devant ses yeux. Selon sa coutume, il décrit d’abord le paysage.


II

Une colline large et haute, à courbe régulière, ferme l’horizon à vingt minutes de nous : elle est, en grande partie, sans arbres ni maisons, rasée, battue par le soleil. Derrière nous s’éparpillent beaucoup de soldats, tout un bataillon, debout, assis, couchés sous les arbres, dans les buissons, dans les fossés et dans les vignes, les uns tête nue, les autres l’habit déboutonné, le fusil à terre ou sur les genoux, muets et graves. Les officiers font cercle et parlent bas, en mots brefs, ou par signes. Ils regardent souvent autour d’eux, mais plus souvent et plus longuement là-haut, au sommet de la colline, comme si quelque chose devait s’y passer. En effet, d’un massif d’arbres à gauche sort une tache noire qui s’allonge et remue, s’avance lentement, pareille à ces traînées d’ombre que promènent sur le terrain de petits nuages isolés en passant devant le soleil. Cela marche toujours et s’allonge encore ; c’est une colonne de soldats qui, vus d’où nous sommes, ont l’air de n’être point pressés et de faire peu de chemin : illusion produite par la distance. En réalité, ils vont très vite ; voyez où ils sont déjà. Par-dessus cette ombre mouvante, ondoie d’un bout à l’autre un éclair : ce sont les baïonnettes. Les soldats approchent, on les voit plus distinctement : ils ont le fusil sur l’épaule. Derrière nous, les nôtres ne disent rien et ne bougent pas ; les bouches sont entr’ouvertes, les yeux fixés sur cette troupe et sur ces fusils : on entendrait voler une mouche. « Là, là, de l’autre côté ! » crie une voix palpitante.