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les tavernes où on le débitait commençaient à devenir nombreuses ; chaque village, presque chaque hameau, n’en conservait pas moins des établissemens où l’on continuait à offrir aux compagnons du vin et de la bière.

Le luxe du vêtement, qui devance presque en tout pays celui de l’ameublement et qui ne disparaît même pas toujours devant les exigences de la misère, ne pouvait manquer de prendre à la même époque de grandes proportions. Les documens abondent pour établir que chez les nobles et les bourgeois la toilette des deux sexes avait ses recherches et ses raffinemens, disons plus, ses extravagances. Les moralistes ne sont certes pas fondés à recommander ce qu’ils appellent la simplicité de nos pères. Sans doute l’industrie des tissus était encore peu avancée ; mais, si l’on ne savait pas exécuter sur les étoffes les dessins qui les embellissent de nos jours, si l’on parvenait à peine à fabriquer des étoffes croisées, on se rattrapait sur les broderies, qui ne demandaient pas de moyens mécaniques et n’exigeaient que de l’adresse manuelle. On en connaissait de mille sortes : des broderies au plumetis, des broderies au crochet, des broderies en perles. On façonnait des draps brochés d’or et de soie. On employait pour confectionner les vêtemens précieux, ceux des seigneurs, ceux de la cour, la soie qu’on tirait de l’Italie ou de l’Orient, car l’éducation des vers à soie ne fut introduite chez nous que plus tard.

Le menu peuple se vêtait de lin ou de laine, de grosses étoffes de serge, parfois même de cuir, mais il avait aussi ses habits d’apparat pour les fêtes et les circonstances solennelle. Ce luxe de vêtement persista même après que la France eut éprouvé bien des malheurs, et l’on en trouve une preuve dans les quittances que le dauphin, depuis Charles V, donna pour toutes les acquisitions qu’il avait faites afin de recevoir dignement le roi de Chypre. Il fit à cette occasion cadeau à sa femme, la belle et modeste Jeanne de Bourbon, d’un chapeau brodé d’or et de perles, qu’il avait fait monter par ses deux orfèvres de prédilection, Claux de Fribourg et Jean de Picquigny ; en outre, de ceintures garnies d’or et de perles, de balais, de pierres précieuses avec une figure de fée pour agrafe, d’un chapeau d’or avec émeraudes, balais et grosses perles, d’une jarretière sur un tissu de soie inde cousue d’or, de perles, de diamans et de balais, d’une belle gibecière ornée de perles avec des dauphins de broderie. On le voit, c’était dans la garniture des chaperons, des ceintures et des bourses que le luxe se donnait licence. On portait des ceintures garnies de boutons d’argent ou d’or, semées de perles et sur lesquelles on faisait graver ses armoiries en émail. La fourrure était singulièrement prodiguée : il ne fallait pas moins de 5640 ventres de menu-vair pour fourrer les robes des