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nous devons cette adorable Jeunesse, si chaleureusement acclamée l’an dernier, a voulu prouver toute la souplesse de son talent, et avec quelle facilité il peut changer de note sans cesser d’être lui-même. Il a attaqué avec une incomparable vigueur l’originale figure de l’auteur de Monte-Cristo et des Mousquetaires. Il l’a rendue dans toute sa puissance ; l’abondance et le bouillonnement de la vie, la fécondité miraculeuse d’un cerveau en fermentation, qui travaillait et produisait aussi facilement que respire le commun des mortels, la balle humeur, la veine sensuelle, le pétillement de l’esprit, il a tout exprimé. L’expression du visage est concentrée dans les lèvres épaisses, que l’inspiration fait mousser. Quel homme sut jamais conter comme cet homme depuis que sont morts les immortels anonymes, hindous, arabes ou persans, qui nous ont légué les Mille et une Nuits ? Non loin de ce buste, on voyait l’intéressant Conteur arabe de M. Ponsin-Andary, coiffé de son fez, assis sur une natte près de sa sébile, la poitrine nue, le cou orné d’un collier, une fleur sur l’oreille, les jambes croisées, la main droite posée sur son genou relevé. Cette main est en action ; elle explique, elle embellit, elle brode une histoire. La tête est spirituelle, mais on peut lui reprocher de manquer de race. Ce conteur arabe n’est peut-être pas assez Arabe ; à coup sûr c’est un conteur. Cependant il nous a paru que ce n’était pas lui, que c’était l’Alexandre Dumas de M. Chapu qui avait reçu du ciel la mission de narrer à l’univers charmé et aux foules béantes la Lampe merveilleuse, Ali-Baba, le Barbier babillard et Sindbad le marin.

Parmi les portraits en pied, on a remarqué la statue du maréchal Niel, par M. Crauk. Couler en bronze un général, en évitant qu’il ne ressemble à tous les généraux, est un problème qui demande beaucoup de réflexion. M. Cougny a exposé le modèle en plâtre d’une statue de La Quintinie, destinée à l’école d’horticulture. L’artiste a dit très nettement ce qu’il voulait dire. Il nous a montré cet illustre agronome qui inventa, dit-on, la taille des arbres fruitiers, tenant de la main droite une serpette ; la tête penchée, il examine un scion qu’il vient de couper. La figure est intéressante, et, bien qu’il soit l’homme de son métier, ce botaniste ne ressemble pas à tous les botanistes. Un autre modèle en plâtre qu’on n’oubliera pas, c’est le Lamartine de M. Falguière, commandé par la ville de Mâcon. Il a été fort regardé et fort discuté. L’idée de M. Falguière est heureuse, il a compris son sujet d’une façon originale, où l’on reconnaît un artiste d’un mérite peu commun. Il a voulu nous faire voir, dans l’auteur des Méditations et des Harmonies, celui des grands poètes de ce temps qui eut la veine la plus abondante et la plus facile, celui qui composait à travers champs