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dans ses bras, elle meurt d’envie d’en manger. L’artiste, nous en convenons, n’était point tenue de prêter à cette grand’mère la majesté d’une reine ou d’une déesse ; femme ou veuve de pêcheur, elle est du peuple ; — mais le peuple, grâce à Dieu, a sa noblesse et sa beauté, et les Grecs, qui se sont rarement trompés, estimaient que le noble, et le beau sont nécessaires dans un art où les pauvretés de la forme ne peuvent être sauvées par les artifices de la composition ni par la sorcellerie de la couleur. Aussi les Grecs défendaient-ils à leurs statues de faire la grimace. Représenter le désespoir d’un cœur d’aïeule sous les traits d’une chipie au visage pincé, ratatiné, tristement vulgaire, donner à la vieillesse l’aspect d’une décrépitude repoussante, aucun païen n’eût approuvé une pareille tentative, et une belle œuvre de sculpture sera toujours une œuvre de païen : païenne est la main qui la pétrit, païens sont les yeux qui l’admirent. Chose étrange, ce crime de lèse-paganisme, ce noir attentat contre les Trois Grâces, Aglaë, Thalie et Euphrosine, a été commis par une femme, et cette femme s’est fait dans un autre art une légitime renommée ; c’est une des rares comédiennes de ce temps qui ont du style et donnent à tous leurs rôles un cachet de noblesse et d’élégance, c’est la seule qui comprenne encore la musique du vers français et la mélodie de Racine. L’an prochain, Mlle Sarah Bernhardt exposera un groupe aussi émouvant que sa Tempête, et nous y trouverons tout le charme de tel hémistiche de Racine déclamé par elle.

C’est une erreur aussi, nous en avons bien peur, que le Masque de M. Christophe. Cette erreur est fort respectable, non-seulement par sa taille, qui dépasse les proportions naturelles, mais encore par le talent, par le courage, par l’énergie de patience et de volonté dont l’artiste a eu besoin pour réaliser sa chimère. Il ne doit pas regretter les longues années de travail qu’elle lui a coûtées ; il a intéressé le public, il s’est imposé à son attention, et tel général est devenu célèbre par une bataille perdue. M. Christophe a voulu symboliser dans une statue la comédie humaine, nous montrer une grande mélancolie qui dérobe au monde son visage et le cache sous un masque serein ou riant. L’idée n’était pas mauvaise, mais nous pensons que l’exécution devait être aussi simple que possible. Un sculpteur ancien se serait contenté de nous montrer cette belle affligée portant son masque à la main. M. Christophe a eu le tort de ne pas s’en tenir là, de chercher midi à quatorze heures. Il a voulu que, vue d’un certain côté, sa statue fît illusion, que le public prît le masque pour un vrai visage, et il a obtenu son effet par le moyen d’une draperie dont l’agencement a dû lui coûter d’incroyables efforts d’esprit. A cet effet de trompe-l’œil il a tout