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faut être de la maison, et M. Schœnewerk en est ; il y a tant de gens qui n’en sont pas.

Après la beauté, nous ne connaissons rien de plus beau que la logique, et rien n’est plus intéressant qu’une œuvre d’art qui a de l’unité et de l’harmonie, dont toutes les parties se tiennent comme l’effet tient à la cause, où tout est d’accord, où le pied, le bras et la tête disent la même chose, sans se répéter, de telle sorte que l’œuvre tout entière a la rigueur d’un raisonnement bien déduit et poussé jusqu’au bout. — Et moi aussi, je suis logicien ! disait le diable. — Par malheur, on compte les artistes qui ont le diable au corps, les autres recourent aux expédiens pour qu’on ne s’aperçoive pas de ce qui leur manque. Quand on ne sait pas faire parler un corps ou un visage, on emploie le geste, et plus le visage est insignifiant, plus le geste est grandiose. On verra toutes les années au Salon des statues qui gesticulent parce qu’elles n’ont rien à dire. Voilà des prisonniers gaulois attachés à un poteau ; ils lèvent le bras au ciel comme un chanteur d’opéra entonnant son air de bravoure. Le Saint Sébastien de M. Gautherin ne pouvait pas gesticuler, le sculpteur avait eu la précaution de lui lier les deux bras ; mais il remue le bout des doigts. C’est un très beau saint, dont le seul défaut est qu’il est impossible de savoir nettement ce qu’il pense. Il a l’air de douter de la grande espérance qui l’a conduit au supplice ; il se dit peut-être : j’ai joué ma vie sur un coup de dés, est-il certain qu’ils ne fussent pas pipés ?

M. Allouard a su faire parler le visage de son Ossian, œuvre recommandable et distinguée ; il n’en avait pas encore exposé de cette importance. Il a fait asseoir son barde sur un rocher, au bord des flots, le buste nu ; ce buste est d’un beau travail, on y sent l’étude consciencieuse et intelligente du modèle. La tête est noble et creusée par la méditation ; la draperie qui enveloppe les genoux est traitée avec ampleur, et M. Allouard a soigné ses noirs. Ossian appuie son bras gauche sur sa lyre, il lève le bras droit vers le ciel, et nous voulons chicaner M. Allouard sur ce bras levé. Le 14 février 1850, Delacroix écrivait dans son journal intime, qu’on devrait bien publier : « Je commence à prendre furieusement en grippe les Schubert, les rêveurs, les Chateaubriand (il y a longtemps que j’avais commencé) et les Lamartine. Est-ce que les amans regardent la lune quand ils ont près d’eux leur maîtresse ? A la bonne heure, quand elle commence à les ennuyer. Des amans ne pleurent pas ensemble, ils ne font pas d’hymnes à l’infini et font peu de descriptions. Les heures vraiment délicieuses passent bien vite, et on ne les remplit pas ainsi. » Les amans qui regardent la lune ne sont pas plus invraisemblables qu’un poète qui fait de grands gestes