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aimerait mieux que la France fût laissée en dehors. » Il renonça pour la Russie à toute idée d’un traité séparé avec la Turquie, comme celui d’Onkiar-Skelessi. (Lettre à Bulwer, 24 septembre 1839.)

Ainsi une coalition se formait sourdement contre la France. Palmerston faisait bien connaître à Sébastiani le langage de Brunnow : « Je lui ai tout dit, excepté la préférence de Nicolas pour une solution qui laisse la France dehors, » (Lettre à Bulwer.) Avec de telles restrictions, une conversation diplomatique ressemble au drame de Hamlet sans Hamlet.

Palmerston, il faut le dire, avait des témérités heureuses : il savait se livrer tout entier et couper les câbles à propos. Il professait qu’il n’y a rien de si dangereux que la demi-confiance. On ne crut pas à Paris qu’il se jetterait dans les bras de Brunnow, on pensa qu’il oscillerait entre la Russie et la France ; mais il prit son parti dès qu’il eut trouvé dans Brunnow un homme secret, décidé à le suivre. A ce moment, la coalition de M. Guizot et de M. Thiers renversait le cabinet du maréchal Soult. M. Thiers fut nommé président du conseil, et M. Guizot alla remplacer le général Sébastiani à Londres. Palmerston se réjouit du changement : « Guizot, écrit-il à : lord Granville ; est un homme raisonnable et éclairé. » (11 mars 1840.) Cependant il continue à jouer une partie liée avec la Russie. Il se plaint sans cesse de la mauvaise foi française. Lord Granville lui écrit en vain : « Le roi ne désire pas de querelle avec vous, mais il n’en désire pas non plus avec la presse et les chambres françaises. Il ne veut pas manger l’Égypte, mais il ne veut pas se quereller avec ceux qui la mangent. » Palmerston lui répond impérieusement : ce Peu m’importent les sentimens, je ne regarde qu’aux faits. » Enfin il touche au terme de ses désirs : le 15 juillet, il signe avec la Russie, l’Autriche et la Prusse une convention secrète pour le règlement de la question d’Orient.

En l’absence de lord Granville, Bulwer remplissait à Paris les fonctions de chargé d’affaires. Un matin, à Auteuil, M. Thiers montre à Bulwer le traité secret, dont il avait obtenu connaissance, bien que les négociations eussent été conduites avec le plus grand secret. « Il était naturellement, écrit Bulwer, très décomposé (discomposed). Il me parla de l’effet qui serait produit sur l’opinion publique en France, me pria de ne rien dire jusqu’à ce qu’il eût pris des mesures pour empêcher une violente explosion ; il s’exprima en somme, je dois lui rendre justice, avec plus de regret que d’irritation. »

Palmerston brûlait d’avoir des nouvelles de Paris. « Je suis curieux, écrit-il à Bulwer (21 juillet 1840), de savoir comment Thiers a pris notre convention. Sans doute il a été très irrité : c’est un