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du fief de refuser au suzerain le service jusqu’à ce qu’il eût obtenu justice dans la cour seigneuriale, où il était jugé par ses pairs. Un déni de justice pouvait donc être opposé au suzerain par le vassal et se fondant sur ce motif, il se regardait alors comme autorisé à recourir aux armes. Un tel recours lui apparaissait comme l’application d’un principe consacré par la coutume féodale et en vertu duquel l’homme libre qui n’acceptait pas sa condamnation pouvait prendre son juge à partie, l’accuser d’avoir sciemment rendu un jugement inique et menti à sa conscience : il le provoquait en duel ; si le juge était vaincu, la sentence était annulée et la cause portée devant le tribunal du seigneur immédiatement supérieur : c’était ce qu’on appelait fausser jugement. Rien ne suggérait plus facilement le prétexte d’un déni de justice que les questions d’héritage, où le droit était souvent obscur et contestable, et Edouard III trouva dans un pareil débat le moyen de rompre avec ses devoirs de vassal et de faire la guerre à Philippe de Valois avec une apparence de légitimité. Au siècle dernier, la question de la succession d’Autriche fournit de même au grand Frédéric un prétexte pour combattre un empire dont il convoitait la dépouille. Mais le monarque anglais agit avec prudence. Avant de commencer la lutte, il se prépara à la soutenir. Il entreprit la réorganisation de son armée ; il exerça ses sujets au maniement des armes. Pour vaincre cette gendarmerie française qui avait une si grande réputation, pour se mesurer avec les forces considérables dont Philippe de Valois disposait, il lui fallait une armée, et il n’avait pas, à beaucoup près les contingens que la noblesse française amenait au secours de son roi. Le moyen qu’il employa est celui auquel eurent recours de tout temps, pour pouvoir lutter avec des puissances qui leur sont supérieures, les pays de peu d’étendue territoriale et conséquemment de population restreinte : ce fut le service militaire obligatoire pour tous.

Edouard procéda ensuite à une nouvelle organisation de ses troupes dont je parlerai plus loin. Philippe de Valois ne semble pas s’être préoccupé de tous ces préparatifs. Plein de cette confiance dans sa force, qui a été si longtemps le propre de notre nation, qui caractérisait surtout la noblesse française, expression alors la plus vivante et la plus fidèle de nos qualités et de nos défauts, il n’avait pas conscience du danger ; il demeurait convaincu que rien ne pourrait résister à la vaillance de ses chevaliers. La victoire de Cassel n’avait fait que confirmer Philippe et ses gentilshommes dans l’opinion qu’ils avaient de leur supériorité. Le roi y avait fait des prodiges de valeur, et le vieux connétable Gaucher de Châtillon, malgré ses quatre-vingts ans, s’y était battu comme un lion. Nous ne connaissons pas tous les détails de la composition qu’Edouard III donnait alors à son armée, mais les documens que fournit