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encore. « Ayant pris garde, dit Descartes, qu’il faut distinguer deux différens principes de nos mouvemens : l’un tout à fait mécanique et corporel, qui ne dépend que de la seule force des esprits animaux et de la configuration des parties, et que l’on pourrait appeler âme corporelle, et l’autre incorporel, c’est-à-dire l’esprit ou l’âme que vous définissez une substance qui pense, j’ai cherché avec grand soin si les mouvemens des animaux provenaient de ces deux principes ou d’un seul. Or ayant connu clairement qu’ils pouvaient venir d’un seul, c’est-à-dire du corporel et du mécanique, j’ai tenu pour démontré que ne pouvions prouver en aucune manière qu’il y eût dans les animaux une âme qui pensât. » Rien de plus clair : d’une part, selon Descartes, il n’y a chez l’animal qu’un principe corporel et mécanique ; de l’autre, l’âme qui pense n’y est pas. Mais, toujours d’après Descartes, l’âme pensante est la seule qui puisse éprouver des sentimens semblables à ceux de l’homme ; l’animal, qui est dépourvu d’âme pensante, n’a donc que des sentimens corporels et une sensibilité toute organique, comme l’a depuis nommée Bichat ; entendez par là l’irritabilité de certains organes sans plaisir ni douleur, distincte de la sensibilité animale, dont la souffrance et la jouissance sont les compagnes inséparables.

C’est à Buffon qu’appartient l’automatisme mixte prêté à Descartes par M. Flourens. Descartes était conséquent avec lui-même lorsqu’il affirmait d’une part que l’animal n’est qu’une machine, et d’autre part qu’il ne sent que dans ses organes et non point comme l’homme ; ce qui signifiait que ce sentiment tout corporel n’est pas accompagné de pensée, nous dirions aujourd’hui de conscience. Buffon, lui, se contredit expressément : il maintient en effet que les bêtes sont des machines, et il les déclare capables de sentir et d’avoir conscience de ce qu’elles sentent, se bornant à leur refuser la faculté de former des idées. Une machine sensible et consciente, voilà ce qui ne se comprend plus.

C’est à démontrer cette impossibilité que Buffon a consacré l’un de ses écrits les plus importans et les plus étudiés, le traité sur la Nature des animaux. On a prétendu qu’en composant cet ouvrage, où de si larges concessions sont faites à l’automatisme, il avait voulu ménager la philosophie cartésienne devenue entre les mains des jésuites une sorte de doctrine officielle. Si telle a été sa préoccupation secrète, ce qu’il n’y a pas lieu d’examiner ici, elle ne lui a pas porté bonheur. Quoiqu’il ait déployé dans cet essai sur les facultés animales toutes les qualités de sa pensée et de son style, il n’y a vraiment rien prouvé, si ce n’est qu’on peut être en même temps un naturaliste de génie et un psychologue médiocre. À ce point de vue du moins son livre est instructif : il montre à quelles