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point impossible que ce ne fût un embarras pour l’avenir. Évidemment Cavour seul pouvait jouer avec tous ces élémens et tenter l’aventure : il y voyait un moyen de réunir toutes les forces nationales, de rallier ou d’annuler les républicains en ne laissant de côté que les sectaires endurcis de Mazzini, et quant à ceux-ci, il n’hésitait pas à déclarer que, s’ils bougeaient, il les mitraillerait sans pitié comme des Allemands. Cavour sentait grandir en lui une force de commandement à l’aide de laquelle il pouvait se servir de tous les concours, se mesurer avec tous les obstacles et rester maître d’un mouvement qui venait en quelque sorte de lui-même se placer sous sa main. Il disposait du Piémont et de l’Italie.

La difficulté la plus grave pour lui était encore au dehors, en Angleterre, et même jusqu’à un certain point en France. L’Angleterre, qui le trouvait toujours sur son chemin dans ses négociations pour la paix, l’Angleterre, à vrai dire, le traitait avec rudesse. Lord Derby, lord Malmesbury ne cessaient de le harceler de leurs récriminations et de leurs admonestations, que son ami, le brillant sir James Hudson, lui portait avec plus de fidélité que de conviction personnelle. Le cabinet anglais voyait en lui, et il avait bien un peu raison, le grand agitateur, le provocateur incessant de l’Autriche, le plus dangereux adversaire de toutes les tentatives pacifiques. Cavour, de son côté, écoutait patiemment, non sans inquiétude quelquefois, mais également décidé à résister à l’Angleterre et à ne pas la blesser. Au besoin, si on le poussait un peu trop, il se révoltait, et à un diplomate anglais qui lui disait que l’opinion publique à Londres l’accusait de mettre en péril la paix européenne par sa politique italienne, il répliquait vivement : « A merveille ! et moi je pense au contraire que c’est sur l’Angleterre que doit peser la plus sérieuse responsabilité de la situation troublée de l’Italie. Ce sont les hommes d’état de l’Angleterre, les orateurs de son parlement, ses diplomates, ses écrivains qui ont travaillé pendant des années à exciter dans notre péninsule les passions politiques. Est-ce que ce n’est point la Grande-Bretagne qui a encouragé la Sardaigne à opposer la propagande des influences morales à la prépotence illégitime de l’Autriche en l’Italie ? »

Au fond, si sensible qu’il fût aux sévérités du cabinet de Londres, Cavour ménageait extrêmement l’Angleterre, qu’il s’étudiait à lier par le souvenir de ses encouragemens de la veille, par ses traditions libérales, par ses sympathies pour le régime constitutionnel piémontais. Il saisissait les occasions de s’adresser en plein parlement au peuple britannique ; il rappelait que toutes les causes justes, l’émancipation irlandaise, l’émancipation des noirs, avaient fini par triompher, et il s’écriait : « Est-ce que la cause de l’Italie est moins