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que le dernier coup de soleil qui mûrissait, pour ainsi dire, cette situation. Dès le lendemain, l’empereur recevait de Paris des informations qui lui faisaient craindre une prochaine entrée en scène de l’Allemagne. D’un autre côté, il avait été profondément remué par l’effroyable spectacle de carnage qu’il avait eu sous les yeux. « J’ai perdu 10,000 hommes, » disait-il à quelqu’un, de l’accent ému d’un homme obsédé d’une idée fixe.

Tout agissait sur son esprit. Il voyait les difficultés, les dangers de la continuation de la guerre, la facilité, les avantages possibles, quoique limités, d’une transaction dans la victoire, et c’est sous cette impression que le 7 juillet au soir il chargeait le général Fleury de porter au camp autrichien, à Vérone, une proposition d’armistice qui, dans sa pensée, devait conduire à la paix. Trois jours après en effet, à la suite d’une entrevue de Napoléon III et de l’empereur François-Joseph à Villafranca, sur la route de Vérone, les préliminaires qui mettaient fin à la guerre étaient signés. Ils ébauchaient les traits sommaires de la paix : Cession de la Lombardie au profit du roi de Sardaigne, création d’une confédération italienne avec la présidence « honoraire » du pape et l’accession de la Vénétie, qui restait « sous la couronne de l’empereur d’Autriche, » rentrée éventuelle du grand-duc de Toscane et du duc de Modène dans leurs principautés. Ces préliminaires devaient être transformés en traité définitif par des plénipotentiaires réunis dans la ville neutre de Zurich. Ainsi le 30 avril une avant-garde française arrivait à Turin ; le 20 mai avait été livré le premier combat, celui de Montebello ; le 11 juillet la guerre d’Italie se dénouait à Villafranca. Pour en finir, Napoléon III avait dû, comme il le disait, « retrancher de son programme le territoire qui s’étend entre le Mincio et l’Adriatique. » En s’arrêtant à mi-chemin dans l’exécution des plans qui avaient fait l’objet de l’alliance de Plombières, il devait aussi renoncer, momentanément si l’on veut, aux avantages prévus pour la France de ce côté des Alpes, et il n’hésitait pas, il ne demandait rien. Il croyait évidemment avoir accompli devant l’Europe un grand acte en signant la paix. C’était du moins une paix obscure et précaire, qui laissait bien des problèmes à résoudre et qui avait le suprême inconvénient de ne répondre ni aux intérêts permanens de la France, ni aux espérances de l’Italie. Elle se ressentait de ce malheureux penchant d’un esprit qui alliait d’une manière si étrange les fascinations chimériques et les défaillances de volonté. On n’avait pas fait assez ou l’on avait trop fait.

Ce qu’il y a de certain, c’est que l’empereur avait conçu et exécuté sa résolution tout seul, sans consulter son allié. Malgré les signes d’une situation difficile qui lui inspirait parfois des inquiétudes, Cavour ne prévoyait pas un coup de théâtre si prochain.