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formait la frontière entre le diocèse de Saint-Malo, resté généralement fidèle à Charles de Blois, et celui de Vannes, où les Anglais et les partisans de Montfort prédominaient. M. Luce nous a raconté dans un curieux chapitre l’enfance du futur connétable, qui était loin d’annoncer un héros. Le fils du seigneur de la Motte-Broons, que son extrême laideur rendait sauvage, d’un caractère impétueux et intraitable, fut le désespoir de ses parens jusqu’au jour où une religieuse, témoin d’un de ces accès de violence dans lesquels perçaient la fierté et l’énergie du petit Breton, prédit qu’il surpasserait en gloire tous ses ancêtres. Bertrand n’avait de vocation que pour la guerre, et son habituel divertissement était d’y jouer avec des enfans de son bourg, qu’il partageait en deux bandes rivales, faisait battre l’une contre l’autre, et où il venait au secours des plus faibles pour ramener de leur côté la victoire. Plus tard, il se fit une réputation par sa précoce vigueur dans les luttes qui amusaient les gens de son pays. Puis, après avoir harcelé les Anglais à la tête de ses gars, il quitta la vallée de la Haute-Vilaine pour aller guerroyer dans la région de Pontorson, où il rencontra ce Pierre de Villiers, que l’histoire connaît sous le nom de Villiers de l’Isle-Adam, et qui paraît avoir été son premier protecteur près de la cour de France. Du Guesclin était enrôlé au service du roi de France lors de l’avènement de Jean. Armé chevalier le 10 avril 1354, selon une tradition que d’Argentré nous a conservée et qui cadre fort bien avec les données positives, après cette affaire du château de Montmuran, où il avait montré à l’ennemi qu’il n’était pas homme à se laisser surprendre, il était au nombre des otages qui furent envoyés en Angleterre pour Charles de Blois, qu’Edouard III laissait partir pour la Bretagne, En août 1356, nous retrouvons Du Guesclin continuant à combattre les Anglais sur les confins de la Bretagne et de la Normandie. Dans cette guerre, surtout dans la lutte qu’il eut à soutenir après le départ de Pierre de Villiers pour Paris, où celui-ci était appelé au poste de chevalier du guet, le capitaine breton, chargé du commandement de Pontorson, eut principalement affaire aux compagnies anglaises ; il apprit à les combattre avec leurs propres armes, il en étudia l’organisation. L’ancien chef des partisans de la Motte-Broons était mieux préparé qu’un autre au genre de guerre qu’il fallait faire à ces bandes d’aventuriers qu’Edouard III avait lâchés sur la France. Cette guerre s’éloignait fort des habitudes de la chevalerie ; elle demandait à la rapidité des mouvemens, à l’esprit d’invention et de ruse, aux dispositions prises avec célérité et sang-froid, à la parfaite connaissance des lieux, ce que les chevaliers voulaient obtenir par leur seule vaillance. Enclin par son génie propre et façonné par son éducation militaire à une