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tête d’une entreprise qui aurait pour but de faire communiquer l’Europe avec l’Inde par une voie ferrée qui traverserait l’Asie centrale. Un tel projet devait plaire au célèbre diplomate qui a déjà mis l’Angleterre en possession, malgré elle, d’une route directe vers son empire indien. A ceux qui craignaient pour la voie de la Mer-Rouge la concurrence de la voie de terre, il répondait que les deux routes, loin de se nuire l’une à l’autre, se prêteraient un mutuel concours ; le chemin de fer, en développant les relations commerciales de l’Europe avec l’extrême Orient, augmenterait le mouvement des marchandises, qui est le principal profit du canal. Il était même permis d’espérer qu’en créant des rapports continus entre les possessions asiatiques des Russes et des Anglais, on mettrait fin à l’esprit de défiance qui existe entre les deux nations, et qui amasse des orages sur les petits pays qui les séparent encore. Le moyen le plus simple d’assurer la paix entre les deux puissances qui se disputent la domination de l’Asie, ce serait en effet, en dépit des apparences contraires, de les amener au contact sur une frontière bien tracée, car on supprimerait ainsi les causes ou les prétextes de conflits que font naître les incursions des tribus barbares encore insoumises qui occupent les contrées montagneuses entre l’Inde anglaise et le Turkestan russe.

Les lettres échangées entre M. de Lesseps et le général Ignatief fixèrent l’attention de l’Europe sur le projet. Le prince Orlof obtint du tsar l’autorisation de procéder à des études préliminaires. On forma un comité qui se chargeait de faire les premiers frais de ces études. L’idée d’envoyer par la Russie une grande caravane d’exploration qui se rendrait aux Indes en traversant les territoires intermédiaires fut bientôt abandonnée ; depuis une dizaine d’années en effet, ces contrées ont été parcourues en tout sens par des explorateurs russes et anglais qui ont rapporté de leurs voyages tant d’informations précises que les ténèbres qui couvraient les pays de l’Asie centrale n’existent plus. Le comité se contenta d’envoyer deux de ses membres, MM. Victor de Lesseps et A. Stuart, aux Indes, pendant que M. Cotard se rendait à Saint-Pétersbourg pour y recueillir tous les renseignemens qu’on pourrait se procurer. En même temps M. Ferdinand de Lesseps adressait à lord Granville, alors secrétaire d’état aux affaires étrangères, un exposé du projet, et lui annonçait le voyage de son fils. Le ministre répondit que le gouvernement anglais refusait d’autoriser une expédition dans l’Afghanistan ; il ne voulait pas, disait la lettre, prendre la responsabilité des conflits qui pourraient en résulter. Après être restés quelque temps à Calcutta, où tous les documens nécessaires furent mis à leur disposition, MM. Victor de Lesseps et Stuart visitèrent le nord de l’Inde, une partie de la frontière ouest et la vallée de Kachmir. Le résultat de