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Presse qui vient troubler cette sécurité. Que les temps sont changés ! C’est le récit de ces fêtes charmantes qui va maintenant, comme par une pente naturelle, aux journaux. La publicité est entrée partout de nos jours, tantôt par effraction, tantôt par persuasion. Est-ce un bien, est-ce un mal ? la question reste douteuse. En tout cas, ici, c’est la persuasion qui a seule agi. On s’est convaincu que le plus sûr moyen de mettre le public d’accord avec les amis de M. Doudan sur un si rare mérite, c’était de le mettre de moitié dans leurs plaisirs littéraires, de tout lui donner, sans autre réserve que celle de certaines bienséances.

M. le comte d’Haussonville a placé en tête du premier volume une introduction qui est tout un portrait vif et brillant. Il a appelé en témoignage MM. de Sacy et Cuvillier-Fleury, qui ont répondu à son appel par quelques pages d’une sincérité pénétrante et d’un accent qui ne trompe pas. Pourquoi de si bons juges, de si vrais amis se sont-ils tenus à l’écart du travail préparatoire d’où est sortie cette publication ? Il y a une vingtaine de lettres et plus qui auraient pu être sacrifiées pour faire place à cet opuscule si distingué, les Révolutions du goût, qu’on a bien voulu me communiquer et sur lequel j’aurai l’occasion de revenir. Et puisqu’il fallait faire un choix dans cette ample correspondance, je pense, en comparant certaines lettres publiées à d’autres qui ne l’ont pas été et que j’ai sous les yeux, qu’on aurait pu parfois autrement ou mieux choisir. Après tout, c’est affaire de goût personnel et de tempérament. Ce qui est moins sujet à discussion, c’est l’inexpérience trop visible qui a présidé à la révision du texte et qui se marque par une foule de traits. C’est une chose difficile et délicate que de publier ses propres écrits, à plus forte raison ceux des autres ; Il y faut une attention extrême, un soin infini du détail. J’imagine M. Doudan relisant ces lettres, d’un goût si exact et si pur, par lesquelles il charmait ses amis, dans l’édition offerte au public. Combien ce délicat humaniste, cet ami d’Horace et de Virgile, aurait d’occasions de se fâcher ou de rire, surtout à propos des citations latines qu’on lui attribue et de certains errata plus invraisemblables encore par lesquels on prétend les corriger ! Je le vois en rire de bon cœur (c’est définitivement le parti qu’il prendrait), comme il le faisait un jour, des fautes qui déparaient l’éloge de l’ancien M. de Sacy, publié dans un journal fort sérieux cependant et fort bien fait, où on lisait : cet honorable chrétien au lieu d’humble chrétien[1]. L’honorable chrétien faisait la joie de M. Doudan. « Après tout, ajoutait-il, on lit vite de notre temps, et l’on n’y regarde pas de si près. » Il se consolerait de la même manière aujourd’hui et n’en

  1. Lettre du 5 mai 1840.