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qui peut se rassurer par de si grands noms et qui me dira toutes les âmes distinguées, tous les esprits marqués d’abord d’une originalité véritable, que l’influence invisible et toute-puissante du monde a rapidement affaiblis et usés ? »

Dans un autre ordre d’idées, je trouve à la fin d’un vieux numéro de la Revue de Paris, à l’occasion de la Royauté de 1830, des considérations singulièrement élevées et qui sont de tous les temps, à l’adresse de cette détestable école de diffamation historique qui jette aux gémonies tout le passé monarchique de ce pays, au nom des idées modernes. Ces pages, écrites il y a plus de quarante ans, ont un air d’à-propos qui prouve que les idées justes et vraies ne vieillissent pas. Ne dirait-on pas qu’elles ont été inspirées hier ou aujourd’hui par quelques-uns de ces pamphlets ou de ces réquisitoires haineux qui sont comme un crime de lèse-nation et un attentat sacrilège contre l’histoire de notre pays ? Je n’en citerai que quelques traits : « Nos annales ne datent pas de 1789. Il faut accepter la solidarité des autres siècles, car les Français sont une vieille nation, et ils doivent s’en faire gloire… On n’a pas d’histoire quand on méprise le passé et qu’on n’en veut pas tenir compte. Si ce qui a été hier n’est pas un peu la raison de ce qu’on fait aujourd’hui, il n’y a point réellement d’histoire ; autant vaut pour les Français l’histoire de Sésostris que celle de François Ier… Ne prétendons plus être une jeune nation née de la fin du dernier siècle. Laissons cela à l’Amérique du Nord, qui s’excuse de tout ce qui lui manque en répétant qu’elle est née au désert et née d’hier. » Et, traçant d’avance à grands traits l’idée qui sera l’idée maîtresse de M. de Tocqueville : « La liberté a besoin d’habitudes et de traditions. Il serait funeste de persuader aux peuples que c’est un essai qui ne date que de la veille. Ce n’est pas une aventurière qui ait commencé sa fortune vers 89 ; elle est d’illustre et ancienne famille. Sous une forme ou sous une autre, elle est à peu près partout dans notre histoire, moins fière et moins forte qu’aujourd’hui, mais promettant dès lors ce qu’elle a fait depuis. » Puis portant un regard d’envie sur l’Angleterre, sur cette vertu du patriotisme fidèle à ses anciens souvenirs : « Là du moins, malgré ses révolutions, le pays est toujours la vieille Angleterre… C’est une nation fière et sérieuse qui n’entend livrer au mépris des peuples aucune page de ses chroniques. Elle accepte la responsabilité de son histoire. Là tout se lient… il en est résulté pour les institutions une merveilleuse solidité ; le ciment des années a uni tous ces débris respectés et en a formé comme un rempart indestructible. » Dans ces réflexions, inspirées de si haut, il n’y a pas, à proprement parler, une date particulière qui les attache à un fait momentané, à