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qui ne la rend attentive qu’à un ordre de beautés. L’auteur analyse, avec une rapidité qui ne l’empêche pas d’être précis dans sa brièveté, l’influence des religions dans cette variation des formes du beau, l’effet des traditions d’un peuple, celui des institutions politiques, celui des langues surtout : on ne pense vraiment que dans sa propre langue, celle qui s’est formée avec nous et pour nous, à l’image de tous les faits et de tous les sentimens nouveaux qui nous ont rendus, par exemple, nous autres hommes du XIXe siècle, autres que les hommes du XVIIIe ou du XVIIe siècle.

On voit la portée de ces considérations, on en devine les résultats : nous voyons se dessiner peu à peu devant nous et se détacher en pleine lumière les lois qui règlent les révolutions du goût. Ces lois dépendent de ces trois grands faits qui n’avaient jamais été saisis d’un coup d’œil aussi juste et liés entre eux d’une main aussi ferme : la variété des sources du beau, les limites de l’esprit de l’homme incapable d’en saisir l’ensemble et la diversité complexe, enfin les mobiles qui, suivant les temps, rendent les nations exclusivement attentives à une seule page du livre ouvert devant leur esprit, tout ce cortège changeant d’associations secrètes qui dans un temps, chez un peuple comme chez un individu, servent à lui donner l’idée du beau et s’unissent invinciblement à cette idée. — Voilà toute une philosophie de l’histoire de l’art et de la littérature, qui, sans aucune prétention ni à une découverte des ressorts cachés du monde moral, ni à la rigueur des déductions logiques, sans faste métaphysique, sans aucune des allures arrogantes et impératives d’un système, sans étalage de connaissances empruntées à la physiologie ou à la chimie, enfin sans aucune formule de magie blanche ou noire tirée des officines allemandes, explique les apparentes contradictions dans les variations du goût, résout tout un ordre de questions intéressantes et nous laisse dans l’esprit des résultats clairs et positifs, qui constituent une acquisition nouvelle, un progrès véritable.

Suivrons-nous maintenant la variété des conséquences qui sortent naturellement de son principe et qui en démontrent la justesse par sa fécondité ? Indiquons au moins d’un trait rapide une des principales applications que l’auteur fait de son idée. Il ne faut plus s’étonner, comme nous le faisions tout à l’heure, de la mobilité du goût en littérature, puisque l’homme est mobile lui-même comme l’histoire, et qu’il ne peut admirer pleinement que ce qu’il voit et ce qu’il sent en rapport direct avec son tour d’imagination et d’esprit. Il faudrait plutôt chercher pourquoi certains ouvrages se transmettent de race en race, de générations en générations, sans épuiser l’admiration des hommes. Il faut distinguer, en tout ordre d’œuvres, celles qui durent et celles qui passent, mais rien ne se perd