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et jeter, au hasard de la plume, les réflexions les plus fines, les traits de mœurs, les anecdotes qui peignent, des jugemens d’une justesse saisissante ou d’un surprenant relief. Ici ses défauts mêmes lui deviennent des qualités : son horreur pour l’effort prolongé donne à ses pensées une rapidité qui les emporte à leur but, sans fatiguer ni ralentir l’entretien ; il a ces grâces négligées, cette nonchalance du style qui sont l’attrait d’une lettre, qui seraient le péril d’un livré ; il s’abandonne sans scrupule et sans remords à cette verve d’ironie éblouissante qui jaillissait si naturellement chez lui et par laquelle il aimait à châtier toute déclamation de parole ou d’attitude, l’emphase, l’affectation, tout ce qui était antipathique à sa nature esthétique, à ce sens exquis, mais facile à blesser, de la justesse et de la mesure. On a parlé quelquefois de la susceptibilité de M. Doudan, des ombrages qu’il prenait d’une parole ou d’un argument dans les conversations que l’on avait avec lui, de ces rapides colères d’esprit qui l’emportaient et l’agitaient un moment dans les discussions. L’observation est juste ; cependant on aurait tort de croire que c’était la contradiction qui l’irritait : il était loin de la craindre et de la fuir ; elle l’excitait et ne l’irritait pas. Ce qui troublait sa bonne humeur et altérait même sa bienveillance, c’était non pas la personnalité de son interlocuteur, mais au contraire l’absence ou l’altération de cette personnalité, ou bien quand cet interlocuteur couvrait sa pensée sous des argumens d’école et des idées convenues, ou bien quand il tentait de paraître autre qu’il n’était, de parler au-dessus ou en dehors du ton qui lui était naturel, de forcer le diapason de son esprit. C’étaient là les fautes qu’il ne pardonnait pas : au fond, il n’était intolérant que pour les notes fausses ou l’obscurité prétentieuse, comme doit l’être tout esprit amoureux d’harmonie et de lumière.

La période la plus active de cette correspondance embrasse trente-six années environ, de 1836 à 1872. Dans ce long espace de temps, il n’y a presque pas un événement de l’ordre politique ou littéraire qui n’ait laissé sa trace, qui n’ait éveillé une vibration dans ce vif esprit. Comment pourrait-il en être autrement avec des correspondans tels que M. Guizot, M. Piscatory, M. Saint-Marc Girardin, M. d’Haussonville, M. Albert de Broglie, ou des femmes telles que Mme la baronne Auguste de Staël, Mme d’Haussonville, Mme la marquise d’Harcourt, Mme du Parquet, Mme Donné ? Une des parties les plus curieuses de la correspondance est celle qui est adressée à un ami inconnu des nouvelles générations, M. Raulin, mort en 1850, un de ces hommes rares qui semblent consacrés au culte de l’art et des idées, tout en vivant de la vie des autres, tout en poursuivant une carrière, administrateurs, secrétaires-généraux, conseillers