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déprédations auxquelles la guerre les avait accoutumés. Les compagnies devinrent de véritables bandes de brigands dans le sens actuel du mot, auquel de telles habitudes chez ceux qu’on appelait ainsi valurent sa moderne acception. Le roi de Navarre, qui déclarait la guerre au dauphin, prit à son service, dès qu’il se fut échappé, plusieurs des bandes qui avaient guerroyé pour Edouard III, surtout les routiers gascons, qui faisaient, suivant leur expression, guerre d’Anglais, et dévastaient impitoyablement la France, qu’ils appelaient leur chambre, et où ils se croyaient tout permis. Ces bandits ne respectaient pas plus leurs anciens frères d’armes et leurs compatriotes que leurs ennemis, ainsi qu’on peut le voir par ce que Froissart rapporte de Bascot de Mauléon, qu’il a mis si curieusement en scène, un vrai type de ces chevaliers d’industrie de la guerre, comme il y en avait tant alors. Charles le Mauvais dut à son tour licencier ses soudoyers après la conclusion du traité de Brétigny. Cela ne fit qu’accroître le nombre des aventuriers qui guerroyaient pour leur propre compte. Les compagnies s’étaient surtout répandues entre la Seine et la Loire ; elles infestaient les routes de Paris à Orléans, à Chartres, à Vendôme, à Montargis, tandis que Robert Knolles désolait la frontière de Normandie avec ses brigands et y gagnait, nous dit Froissart, bien cent mille écus. La France fut jusqu’en 1365, jusqu’à l’époque où Charles V signait la paix avec le roi de Navarre, tantôt sur un point, tantôt sur un autre, la proie de ces soudards rompus au métier et souvent plus redoutables que des armées régulières. Il lui fut plus difficile encore de s’en délivrer que de conclure avec Edouard une paix même déplorable.

A peine le traité de Brétigny avait-il été ratifié à la fin de 1360, que les routiers, comme s’ils se fussent donné rendez-vous pour aller exploiter une région de la France jusqu’alors plus épargnée, affluèrent dans la vallée du Rhône et marchèrent sur le comtat d’Avignon, ayant à leur tête deux Anglais Jean Hawkwood et Jean Creswey, et deux Gascons, Séguin de Badefol et Robert Briquet. Les aventuriers réussirent à prendre d’assaut l’importante forteresse de Pont-Saint-Esprit, malgré l’énergique résistance de Jean Sauvain, sénéchal de Beaucaire et ancien bailli de Rouen, qui périt dans la lutte. Maîtresses du cours du Rhône, les compagnies tinrent bloqués le pape et le sacré collège, qui se voyaient exposés à mourir de faim. Innocent VI eut beau prêcher la croisade contre ces bandits, personne ne bougea, et il en fut réduit à faire remettre une somme considérable au marquis de Montferrat, à la charge de les prendre à son service. Un de leurs chefs, Hawkwood, joua ensuite un rôle important en Italie ; il continua ses féroces exploits, d’abord à la solde de Barnabo Visconti, digne protecteur d’un tel capitaine, puis à celle des Florentins. Séguin de Badefol fut moins