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contentait pas du sens le plus simple ; il supposait volontiers quelque intention secrète ou délicate de l’auteur. Il subtilisait même avec tant de naïveté et il éprouvait une telle joie à découvrir des finesses de langage qui avaient échappé à tout le monde avant lui, qu’on se serait fait scrupule de le contredire. On a rarement mêlé plus de candeur à plus de raffinemens. La candeur venait de la pureté de l’âme, la subtilité de la finesse de l’esprit.

L’ami et l’ancien collaborateur de Cousin garda jusqu’au bout une vive curiosité pour les questions philosophiques et religieuses. La Vie de Jésus de M. Renan, les Origines du christianisme de M. Havet, provoquent de sa part des notes, des observations, des lettres, où se mêle à un sentiment d’estime et de sympathie très sincère le besoin de nombreuses réserves. Il accorde volontiers à la libre pensée toute la liberté qu’elle demande ; mais il ne la suit pas dans la lutte qu’elle prétend engager contre les croyances religieuses. Le croyant qui, en vertu des instincts mystérieux de son âme, s’abandonne à la foi sans réflexion ne lui parait pas tenir dans l’histoire de l’humanité une place moins importante et moins nécessaire que le philosophe qui cherche et qui doute. Tous deux présentent des aspects divers, mais permanens et indestructibles de la nature humaine. On ne réussira pas plus à étouffer le besoin de chercher et de savoir que le besoin de croire. Il ne convient donc pas d’opposer l’une à l’autre des tendances inévitables qui dureront autant que l’homme lui-même ; l’œuvre la plus philosophique et la plus vraie consisterait, suivant lui, à concilier pacifiquement ces élémens contraires en montrant qu’ils rentrent dans l’ordre des conditions de vie faites à l’humanité, qu’il ne serait pas plus raisonnable de se révolter contre l’un ou contre l’autre que contre des réalités invincibles.

On lit dans une note adressée à M. Victor Le Clerc pour être remise à M. Renan des phrases significatives qui résument sur ce point toute la pensée de Viguier : « Un même préjugé domine Strauss aussi bien que les dogmatiques et la plupart des demi-croyans, celui de supposer la réflexion, avec ses négations inévitables, capable de retrancher du monde l’élément religieux tendant au surnaturel, la foi, l’amour mystique, les espérances et les craintes du moi personnel, le besoin de l’autorité, l’ascendant féminin, l’instinct de la prière, les nécessités de l’éducation, des associations populaires, des consécrations dans la vie et dans la mort… Ce qu’il faut admettre simultanément, c’est que la réflexion, de sa nature solitaire, individuelle, intermittente, est négative et en dehors de la religion, tandis que toutes les autres forces de l’âme sont affirmatives des hypothèses et des inductions religieuses. Théoriquement, c’est la loi immanente de l’humanité, la contradiction dans l’une de ses formes les plus élevées. Ce sont deux fatalités, deux empires bien inégaux dans l’ordre réel ; il ne s’agit que de reconnaître l’antinomie et de la montrer vivante dans les faits.