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logique, ne pouvait que plier sous le poids des systèmes et se dissiper dans les détails de l’érudition, du moment qu’elle n’avait ni l’une ni l’autre. Chacun des jeunes esprits qui ont fait l’épreuve de cette éducation tout historique, en a gardé le souvenir. Lorsque M. Cousin nous plongeait, presque sans préparation, dans l’étude des grands et subtils systèmes de la philosophie grecque, il présumait beaucoup trop de nos forces. Il n’est pas douteux qu’on ne peut bien comprendre la philosophie moderne qu’autant qu’on connaît la philosophie ancienne, surtout la philosophie grecque, la grande initiatrice de la pensée philosophique. En ceci, le chef de l’école éclectique avait raison ; mais s’il a cru que la méthode historique est la vraie méthode pédagogique pour l’accouchement des intelligences, l’expérience prouve qu’il s’est absolument trompé. Ceux qui ont résisté à la vertu enivrante de la métaphysique ancienne, sont précisément les rares esprits à qui la nature ou une éducation logique et scientifique a donné cette force. Le plus grand nombre s’est perdu dans le conflit des idées, quand il ne s’est pas modestement retranché dans le domaine de l’érudition.

Les maîtres de la pensée allemande ont pu se faire illusion un moment dans l’orgueil d’une domination éphémère ; mais on sait avec quelle tristesse Schelling a assisté à l’éclipsé de sa gloire. Hegel, dont le triomphe fut plus durable, est mort à temps pour ne point voir le discrédit de sa puissante et subtile dialectique. Les maîtres de la pensée française ont pu croire à un plus long avenir pour leurs doctrines, grâce à l’organisation et à la direction plus ou moins officielle de l’enseignement philosophique ; mais, si son chef le plus actif et le plus puissant s’était moins renfermé dans ce monde universitaire et académique où il ne souffrait guère la contradiction, s’il eût ouvert sa fenêtre sur le grand public des savans et des penseurs du dehors, il eût entendu des voix qui eussent singulièrement troublé sa sécurité. Déjà il eût pu voir toute une armée d’esprits indépendans, plus nourris de science que de métaphysique, sans génie spéculatif, sans éloquence, sans talent pour la plupart, mais pourvus des solides méthodes d’observation, d’expérimentation, d’analyse, de démonstration mathématique, se former en rangs serrés et marcher d’un pas lent et sûr à la conquête des générations nouvelles. École critique, école positiviste, école matérialiste, tous ces adversaires de la philosophie régnante, très divers entre eux de méthodes, de principes et de conclusions, s’entendaient pour rompre absolument avec toute tradition métaphysique.

C’est ainsi que les spéculations téméraires et peu intelligibles pour le lecteur français d’outre-Rhin, les démonstrations plus littéraires que scientifiques des philosophes français, dont les