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écoles de philosophie, cause finale immanente avec le panthéisme ou l’atomisme, cause finale transcendante avec le théisme, et fait voir comment il subsiste invinciblement dans toutes les hypothèses, tout en affirmant et en justifiant ses préférences pour la thèse d’une intelligence suprême, distincte de l’univers qu’elle a créé, ordonné, organisé, et qu’elle conserve par une sorte de création perpétuelle et nécessaire.

Le principe de finalité a-t-il les mêmes caractères de nécessité, d’universalité, d’évidence, que le principe de causalité ? De grands philosophes l’ont cru, Aristote, Leibniz, Jouffroy. M. Ravaisson, s’inspirant de la pensée d’Aristote, en fait le principe indiscutable de toute métaphysique digne de ce nom. M. Janet ne va pas jusque-là ; il fait observer que, tandis que l’esprit ne peut se refuser à reconnaître une cause à tout changement dans la nature, il ne subit plus la même nécessité, s’il s’agit de rapporter un résultat quelconque à une fin. La preuve en est dans la croyance générale au hasard. Dira-t-on que le hasard n’est que le mot de l’ignorance ? Cela est vrai, si l’on entend par là une sorte de divinité mystérieuse, telle qu’on dépeint la Fortune, qui manierait à l’aveugle le fil de nos destinées. C’est cette personnification du hasard qui en fait un mot vide de sens. Le hasard bien défini n’est pas la négation pure et simple d’une cause, un effet sans cause n’étant qu’un mot vide de sens ; il est la négation de toute loi, ce qui est bien différent. C’est l’effet d’une cause dont on ne peut assigner ni la fin, ni même la loi, et le mot ne s’applique proprement qu’à toute rencontre de causes multiples, irréductible soit à une loi, soit à une fin, c’est-à-dire à un principe d’ordre quelconque. Voilà pourquoi il n’y a qu’un esprit superstitieux qui puisse attendre des combinaisons de ce genre un résultat prévu et déterminé, comme dans les jeux dits de hasard. S’il n’y avait pas d’autre causalité dans le monde que celle qui se produit sous la forme du hasard, le monde ne serait plus qu’un chaos. Ce qui fait qu’il est tout autre chose, c’est l’existence de lois constantes et universelles, selon lesquelles agissent les causes innombrables de l’univers. C’est l’ensemble de ces lois qui fait l’ordre cosmique ; mais qui dit ordre, dit-il finalité ? Nous pensons avec M. Janet que l’identité, fût-elle réelle, n’est pas évidente a priori. Que toute finalité implique l’ordre, rien de plus clair ; mais que tout ordre implique finalité, cela ne va pas de soi, bien qu’on puisse le croire et que peut-être la pensée soit conduite à cette conclusion. Donc le principe de finalité n’a pas l’évidence rationnelle du principe de causalité. Il n’est pas sûr a priori qu’il n’y ait pas de milieu entre le chaos et la finalité. Entre les deux il y a l’ordre proprement dit, c’est-à-dire un état de choses constant,