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montré la puissance, menaçait l’ordre établi ; le peuple pouvait ainsi devenir redoutable, et la royauté, qui recevait les plaintes des seigneurs et que la révolte des Maillotins faisait réfléchir, pensa qu’il y avait là pour elle un péril plus grand que celui de n’avoir point assez d’habiles archers. Elle cessa d’encourager l’exercice de l’arc. « Si en effet, remarque l’historien de Charles VI, les gens de la bourgeoisie se fussent mis ensemble, ils eussent été plus puissans que les princes et les nobles. Sous le roi Jean, c’est surtout aux états-généraux que l’on doit d’avoir fait rendre aux roturiers la place qu’il importait de leur faire dans l’armée. Ils provoquèrent une ordonnance qui autorisait les bourgeois à servir dans la cavalerie.

A dater de cette époque et jusqu’à la fin de la guerre sous Charles V, bien des compagnies commandées par des gentilshommes ou même par des officiers de fortune eurent dans leurs rangs des roturiers qu’on ne doit pas confondre avec les sergens d’armes (servientes) entretenus aux frais des communes. Du Guesclin, lorsqu’il combattait les Anglais sur les confins de la Normandie, du Maine et de la Bretagne, lorsqu’il se trouvait au siège de Melun, où il se signala par de nouveaux exploits, avait enrôlé dans sa compagnie de préférence des hommes du peuple, des artisans dont la profession demandait de l’adresse et de la force physique. On voit figurer parmi ses soldats des batteurs en grange, des charrons, des forgerons et des tonneliers. Les bandes du futur connétable se rapprochaient donc beaucoup, quant à la composition, de celles qui lui étaient opposées et dont il s’appropria la tactique. Comme il défendait son pays, il ne permit pas à ses hommes les excès dont l’ennemi se rendait coupable et dont les contemporains ont rapporté d’effroyables exemples, mais il ne dérogea pas absolument aux habitudes de pillage du temps. Il aimait d’ailleurs peu les bourgeois, les gens de villes, qu’il appelait avec dédain des « chaperons fourrés ; » mais il avait introduit une assez forte discipline chez les siens, et obtint avec ces soudoyers, où se trouvaient des gens de toutes les provinces, des résultats auxquels on ne fût pas arrivé avec la chevalerie seule. C’est à ces bandes, mieux disciplinées, mieux armées qu’elles ne l’avaient été auparavant, conduites par des capitaines formés à l’école dont était sorti Du Guesclin, que la France dut principalement sa délivrance. On ne saurait dire que ce guerrier ait été un grand stratégiste, encore moins un grand organisateur ; mais il eut le mérite de bien comprendre la manière dont il fallait combattre les Anglais ; il leur opposa leur propre tactique, et, doué d’une incroyable résolution, d’une indomptable énergie, il les vainquit. Au lieu d’essayer de réunir une belle armée de chevaliers, dont les élémens avaient d’ailleurs été détruits, afin de recommencer quelque grande chevauchée, la France multiplia les corps