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nébuleuse confuse ce merveilleux système, avec son foyer central et ses planètes où vivent des êtres organisés ? Pourquoi la loi chimique des affinités a-t-elle groupé en cristaux, avec des formes géométriques parfaitement régulières, les molécules élémentaires qui la composent ? Pourquoi la loi biologique, qui a fait des cellules vivantes avec une matière élémentaire inorganique, fait-elle concourir ces cellules à la formation des organes, et ces organes à la création d’une individualité qui s’appelle un animal ? Pourquoi enfin toute matière, obéissant aux lois de la mécanique, de la physique, de la chimie, de la biologie, arrive-t-elle à prendre une forme dont les caractères de régularité et de perfection réveillent nécessairement dans l’esprit l’idée de fin, de dessein et de plan ? Comment se fait-il que cette innombrable multitude d’atomes, c’est-à-dire de forces simples qui sont les principes élémentaires des choses, se comportent, dans leur immense travail cosmique, comme des ouvriers ayant conscience de leur œuvre ? Comment des combinaisons purement fortuites, nées d’une simple rencontre de causes soumises dans leur action aux lois de la mécanique, peuvent-elles expliquer de tels résultats ? Comment enfin l’aveugle fatalité opère-t-elle avec la même sûreté d’exécution que l’intelligente Providence ?

La philosophie a plusieurs solutions pour ce dernier et inévitable problème. Nous essaierons, dans une autre étude, de montrer laquelle nous semble le mieux se concilier avec les progrès des sciences positives. En attendant, nous terminerons ce travail par une première conclusion : c’est que jusqu’ici, entre les réserves de la philosophie et les prétentions de la science, il n’y a nulle contradiction. La première n’infirme en aucune façon les explications de la seconde ; elle se borne à les compléter. La philosophie laisse la science expliquer comment les choses sortent de leurs élémens, se réservant seulement d’en expliquer le pourquoi. La loi des résultantes lui paraît une excellente méthode d’explication, à la seule condition de l’expliquer elle-même par un principe d’ordre supérieur qui n’est autre que le principe de finalité. Où réside ce principe ? Est-ce dans la nature elle-même ou en dehors ? S’il est dans la nature, est-ce dans les parties les plus élémentaires ou dans le tout seulement qu’il exerce son action ? Ce sont là des questions à examiner, et sur lesquelles la science et la philosophie peuvent ne pas tomber d’accord. Il est un point sur lequel nous avons le ferme espoir qu’elles finiront par s’entendre, c’est que le principe de finalité est un flambeau dont la science n’a pas moins besoin que la philosophie, si elle veut voir clair dans le grand mystère de l’ordre universel.


E. VACHEROT.