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une bien courte traversée, pour un trajet de cinq ou six lieues à peine. Le cap Kargoskoï est doublé ; nous voici revenus pour y rester à tout jamais fidèles, à la tranquille, mais laborieuse navigation d’eau douce. Les barques tournent leur proue du côté du sud et refoulent le cours de la rivière Mezen. Elles arrivent ainsi en cinq jours à la rivière Pesa. Cinq semaines tout entières seront employées à passer de la Pesa dans la Tzilma. Quel étrange circuit et que l’on comprend bien à tant de détours, dans quelles solitudes vierges, à travers quelles régions souvent impénétrables, on veut nous emmener ! Par bonheur, nous touchons au but. La Tzilma descend directement des monts de l’Iougorie et va se jeter dans la Petchora. Parvenus au point de jonction de la rivière tributaire et du fleuve, si nous nous laissons aller, au fil de l’eau, le sourd murmure de la mer et des vents ne tardera pas à frapper nos oreilles. L’itinéraire russe ne compte que cinq jours pour descendre de l’embouchure de la Tzilma au poste fortifié de Poustoser. Voilà donc enfin sur le pays des nocturnes et des hippophages des notions précises, des renseignemens que les cosmographes peuvent utiliser. Sébastien Cabot ne saurait trop se hâter de retoucher sa mappemonde.

Essaierons-nous maintenant de passer plus avant, et les guides qui nous ont servi pour atteindre les bouches de la Petchora ne nous égareront-ils pas quand ils prétendront nous mener aux bords plus inconnus et plus fabuleux encore de l’Oby ? La première épreuve semble faite cependant pour inspirer confiance. Embarquons-nous de nouveau sur le grand fleuve que nous venons de descendre. Il s’agit cette fois de remonter le cours de la Petchora pendant vingt ou trente jours. Nous aurons alors franchi la distance de 200 milles environ qui sépare l’embouchure de la Tzilma, affluent de la rive gauche, de l’embouchure de l’Ousa, affluent de la rive droite. Nous n’avons guère, après tant d’efforts, changé de latitude ; nous nous sommes en revanche considérablement avancés du côté de l’Orient.

L’Ousa prend sa source sur un des rameaux de la chaîne immense que les Russes ont nommée Zemnoï-Poyas, — la ceinture du monde, — Cingulus-Mundi. « Couvertes en toute saison de neiges et de glace, ces montagnes ne sauraient, sous le parallèle où nous sommes, être franchies sans quelque péril. Elles se prolongent si loin vers le nord qu’elles vont former la terre inconnue de l’Engroneland. » Le duc de Moscovie, Basile, fils d’Ivan III, envoya jadis deux de ses capitaines, Féodorovitch Kourbski et le kniaz Uchatoï, pour explorer les pays qui s’étendent à l’est de cette longue barrière. Kourbski mit dix-sept jours à gravir la montagne, et encore ne put-il arriver au sommet. Un autre détachement, expédié de