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avec fracas les clochers dentelés, les pyramides aiguës, les grands pans de murailles ; puis, comme un cétacé qui vient respirer l’air, montent en bouillonnant les fragmens détachés que, du fond de l’abîme, laisse échapper de temps en temps la base. Hier on eût dit un de ces châteaux merveilleux qui surgissent en une nuit sous la main des fées ; aujourd’hui ce n’est plus qu’un amas de décombres ; dans quelques heures on pourra distinguer à peine quelques glaçons noirâtres qui se tiendront humblement à fleur d’eau. L’île a disparu ; il faut maintenant se tenir en garde contre les écueils.

Tous ces débris qu’a laissés le vaste effondrement ont la dureté du roc et le tranchant du fer. Il n’en est pas tout à fait ainsi de l’amas spongieux produit par la congélation de l’eau salée. Deux glaçons placés côte à côte indiqueront facilement par leur seul aspect quelle fut leur provenance. Le glaçon d’eau douce, essentiellement diaphane, prendra, sous les rayons du jour qui le traversent sans peine, une belle teinte d’émeraude ; le glaçon tout chargé de matières salines demeurera blanchâtre, poreux et presque opaque. Ce dernier s’écrasera aisément sous le pied ; pour fendre l’autre, il faudra recourir à la hache. Au temps de Stephen Burrough, on n’admettait pas que l’eau de l’Océan pût se congeler. Les marins, comme les cosmographes, croyaient reconnaître, dans les champs de glace auxquels venaient butter leurs navires, la débâcle des grands fleuves consolidée de nouveau par un froid subit. Aujourd’hui la congélation de l’eau de mer a été établie à la fois par l’observation et par l’expérience. On sait que, pour solidifier de l’eau contenant à peu près la trentième partie de son poids en matière saline, un froid de 3 degrés centigrades au-dessous de zéro peut suffire. La cristallisation sera sans doute encore imparfaite. Conservant dans ses interstices le liquide salin, la glace n’aura que la contexture granulaire d’un sirop congelé. Un froid plus intense pourra débarrasser la couche inférieure de tout le sel qu’elle contient ; la croûte superficielle ne dépouillera jamais complètement cet aspect glutineux que lui donne l’humidité entretenue par la présence d’un corps étranger au sein des minces plaques dont elle se compose.

Il faut des siècles pour former un glacier ; les champs de glace saline se détruisent et se recomposent tous les ans. Dès le mois de mai, ils commencent à éprouver l’action dissolvante du soleil ; bientôt le dôme se brise sous l’influence du vent et de la vague, les fragmens disjoints s’écartent et se dispersent dans des sens opposés. Avant la fin de juin, il ne reste plus de bancs de glace compactes ; mais c’est alors surtout que de longs et terribles conflits s’engagent. Les glaçons se compriment, se broient ou se chevauchent. Il se produit comme un plissement général dans la plaine tourmentée, et,