Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 16.djvu/584

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avait assigné le Primerose. Il se chargea de ramener au port de Saint-Nicolas Osip Népéi.


IV

Lorsque Walter Scott nous dépeint les moulins à foulon, des Flamands venant, dès le milieu du XIIe siècle, effaroucher par leur bruit monotone les hérons et les grues du Shropshire, il nous fait en réalité assister à l’origine modeste de la grandeur anglaise. La toison des brebis prendra, quatre cents ans plus tard, avec Jenkinson, la route de la Bactriane et de la Perse ; sans les guerres intestines qui ont suspendu la marche des caravanes, elle irait, de ce premier élan, jusque Khambalich. On affirme que Christophe Colomb était le fils d’un cardeur de laine[1] et que Colbert dut grandir à l’ombre de l’enseigne du Long-vestu[2] ; nous n’essaierons pas d’en conclure qu’il existe quelque relation secrète entre le tissage des draps et le développement de l’industrie navale. La seule chose que nous nous permettrons de faire remarquer, c’est que si Londres n’eût pas eu, en 1553, un stock surabondant de kersies[3], la marine britannique se fût peut-être trouvée moins bien préparée à repousser, au mois d’août 1588, les attaques de la flotte de Philippe II. La poursuite acharnée de la clientèle ne date pas d’aujourd’hui chez nos voisins d’outre-Manche. Longtemps avant le règne d’Edouard VI, les manufactures britanniques commencèrent à souffrir de la pléthore. Voilà pourquoi Anthony Jenkinson s’apprêtait à porter, dès qu’il en aurait obtenu l’autorisation du tsar ses échantillons au pays des Turcomans et des Usbeks ; voilà pourquoi il devait les aller déposer un jour au pied même du trône du sophi. Peu de voyageurs ont fait en leur vie autant de chemin ; Ahasvérus et Marco-Polo pourraient à peine se targuer d’en avoir fait davantage. Depuis le 2 octobre 1546 Jenkinson ne connaissait plus le repos. « Je passai d’abord en Flandre, nous dis-il ; je visitai ensuite les Pays-Bas. Des Pays-Bas, je me rendis en Allemagne, puis,

  1. L’histoire de Christophe Colomb, attribuée à son fils Fernand. Examen critique, par M. Henri Harrisse, Paris 1875. « Dans un acte notarié, enregistré à Savone, dit M. Harisse, Christophe Colomb, à la date du 20 mars 1472, est qualifié de cardeur de laine génois, résidant à Savone ; où effectivement son père, Dominique, avait transféré son métier et ses foulons antérieurement à l’année 1469. »
  2. Rue de Cérès à Reims. Disons cependant qu’il paraîtrait résulter d’une note communiquée en 1839 par la famille de Colbert à M. Eugène Sue, « qu’antérieurement au crédit de Colbert, sa famille était non-seulement réputée noble, mais même qu’elle jouissait de la notoriété d’une noblesse ancienne. » (Histoire de la vie et de l’administration de Colbert, par M. Pierre Clément.)
  3. Kersey (coarse wollen stuff), sorte d’étoffe de laine grossière, cariset, creseau.