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emportait pour le tsar deux riches pièces de drap d’or et d’argent, une belle pièce de drap écarlate, une autre de violet cramoisi, une de bleu azur. Fussent-ils demeurés sans communication avec l’Angleterre et les Flandres, les Russes n’en auraient pas moins, grâce aux déserts de la Sibérie, dépassé en magnificence les lys de nos jardins et la pompe de Salomon ; mais on apprécie rarement à sa juste valeur ce qu’on possède, et les étoffes anglaises flattaient plus que les peaux de zibelines et de martres le regard d’un peuple étranger encore à toute industrie, les Anglais, au contraire, attachaient un prix infini aux fourrures du Nord. Il fallut plus d’un demi-siècle pour les en fatiguer. Quel prince, quel magistrat, à ces riches pelleteries, « si graves, si délicates, si bien faites pour rehausser la dignité et pour réconforter la vieillesse, » eût osé, en l’année 1557, préférer « les nouvelles soieries, les peluches et les chiffons dont la vogue insensée devait tendre à tarir la richesse du royaume ? » Les présens échangés entre les deux cours n’étaient que l’exact et frappant symbole du besoin mutuel que les deux pays avaient l’un de l’autre.

Outre les draps violets et les draps écarlates, les souverains d’Angleterre envoyaient aussi à Ivan IV une magnifique cotte de mailles, un casque recouvert de velours cramoisi et de clous dorés ; un lion et une lionne choisis dans la ménagerie royale, comme une digne réponse à l’envoi du gerfaut. quant à Osip Népéi, il partait de Londres avec une chaîne d’or d’une valeur de 100 livres, avec une aiguière et une cuvette d’argent doré, avec une paire de brocs et une paire de flacons également de vermeil. Les marchands qui l’avaient si splendidement hébergé commençaient cependant « à le trouver moins accommodant qu’au début. » — « L’ambassadeur, écrivaient-ils à George Killingworth, à Richard Gray et à Henry Lane, leurs agens en Russie, s’imagine toujours qu’on songe à le tromper. Vous aurez donc soin de faire grande attention à la façon dont vous traiterez avec lui et avec ses pareils. Il faudra que tous vos marchés soient clairs et couchés par écrit, car ces Russes sont un peuple à la fois subtil et méfiant. Enclins à la fraude, ils prêtent volontiers ce défaut aux autres. »

Le 12 mai 1557, Osip Népéi s’arrachait aux délices de l’hospitalité britannique et allait s’embarquer à Gravesend. Le 29 mai, les quatre navires qui composaient la nouvelle flotte de la compagnie se trouvaient au large des bancs de Yarmouth. Les vents de nord-ouest et de nord retardèrent pendant plusieurs jours leur progrès ; enfin le 25 juin, l’escadre reconnut par 66° 40’ de latitude, la côte de Norvège. « Nous gouvernâmes alors au nord-quart-nord-ouest, » écrit Jenkinson aux consuls de la compagnie, André Judde, George