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craintifs, aiment mieux payer le tribut à tous les souverains qui l’envoient réclamer, que s’exposer au mauvais vouloir d’un d’entre eux ; mais ce pays appartient à mon maître, vous pouvez en toute confiance y venir. Si quelque Lapon idolâtre veut se soumettre à la foi chrétienne, c’est toujours le rit russe qu’il embrasse. Les conflits, quand on n’a pu les dénouer à l’amiable, sont tranchés par les délégués de l’empereur ou portés à Moscou. Enfin, dernière et irrécusable, preuve de la souveraineté du tsar, le monastère de Pechinchov, situé entre Kegor et les confins du Finmark, à la partie méridionale de la grande baie de Dommes-Haff, a un prieur désigné par le métropolitain de Moscou. » On se fut peut-être livré, à cette extrémité du monde, suivant l’expression si souvent reprochée à Voltaire, de sanglans combats « pour quelques arpens de neige. » Par bonheur, le monastère de Pechinchov avait, dès le XVe siècle, tranché la question. La frontière des deux états voisins est restée ce que la préférence des moines orthodoxes l’avait faite.

« Le vent était court pour gagner Colmogro, nous dit en terminant le capitaine du Searchthrift. Je m’arrêtai à l’est de la pointe Kegor et je fis faire deux fournées de pain dans les fours que les Kerils avaient construits là pour leur usage. » Les fours des Kerils sont, comme leurs huttes et leurs poêles ; les produits tout spontanés d’un art qui n’a trouvé ses inspirations que dans « la lutte pour la vie. » Les architectes de Memphis ne les auraient probablement pas inventés.

Stephen Burrough devança de quelques jours à peine l’escadre de Jenkinson dans la baie de Saint-Nicolas. Le Primerose doublait le 7 juillet le cap Sviatoï. « Sur ce cap, écrit Jenkinson, se trouve une grande pierre à laquelle toutes les barques qui passent ont coutume de faire des offrandes de beurre, de farine et d’autres provisions. Les marins russes craindraient, s’ils négligeaient de se rendre ainsi les dieux de la mer propices, de s’exposer à périr, comme cela s’est vu trop souvent, car près de Sviatoï-Noss, le temps est généralement sombre et brumeux. » Les vaisseaux de Jenkinson n’avaient pas cessé jusque-là de naviguer de conserve. Au moment de donner dans la Mer-Blanche, ils se perdirent de vue et demeurèrent deux jours sans pouvoir se rejoindre au milieu du brouillard. Enfin, le 12 juillet, ils mouillèrent tous ensemble sur la rade de Saint-Nicolas. Les pilotes estimaient que, depuis le départ de Londres, on devait avoir fait environ 750 lieues[1].

La traversée d’Angleterre en Russie n’avait plus désormais de mystères. Stephen Burrough venait de relier par ses observations

  1. La distance réelle de Londres à Arkangel est de 705 lieues.