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réservés à des jeunes gens qui, en recevant leur brevet d’admission au service de la Compagnie, s’engageaient par un contrat, ou covenant, à ne faire aucune opération commerciale et n’accepter aucun présent dans l’exercice de leur charge. De son côté, la Compagnie leur assumait la jouissance d’un traitement assez élevé pour attirer des hommes de valeur, en même temps que pour les mettre à l’abri de toute tentation. Par cette simple réforme, les services publics de l’Inde devinrent tout d’un coup, — ce qu’ils sont restés depuis lors, — une des administrations les plus intègres du monde entier, d’une intégrité qui va jusqu’au puritanisme, mais qui est la meilleure des protestations contre les scandales du passé aussi bien que contre les déplorables habitudes des gouvernemens indigènes.

À cette époque toutefois, aucune condition préalable n’était requise des aspirans aux emplois de la Compagnie, et la distribution des commissions, tant civiles que militaires, était l’apanage des directeurs, qui en faisaient largement profiter leurs familles et leurs amis. En 1806, l’on institua à Hailebury un collège où les futurs employés de la Compagnie durent séjourner au moins pendant deux ans avant de passer l’examen de sortie ; mais c’est seulement en 1853 qu’on décida de mettre au concours les places annuellement vacantes dans le covenanted service. Une innovation aussi radicale ne laissa pas de soulever certaines craintes par l’importance même qu’elle allait donner aux études purement théoriques des candidats. Les faits ont prouvé que, tout en élevant le niveau intellectuel de l’administration et en fermant la porte au favoritisme, ce nouveau mode de recrutement n’a affaibli en rien les aptitudes pratiques, ni même le prestige moral des services anglo-indiens.

Ce fut également lord Cornwallis qui régularisa la procédure des tribunaux et commença la codification des coutumes locales. Aujourd’hui encore cet enregistrement des coutumes est le principal but de la législation, sauf là où les mœurs du pays sont en opposition trop flagrante avec les principes de la nation conquérante. Cependant même alors le gouvernement n’impose ses idées qu’avec une prudente lenteur, et l’on serait parfois tenté de lui reprocher des hésitations qui ressemblent à de l’indifférence morale, si, sous ses détours et ses atermoiemens, on ne voyait se développer un principe juridique qui finit tôt ou tard par avoir le dernier mot des préjugés et des résistances. Prenons, entre autres exemples, les suttis, c’est-à-dire l’immolation volontaire ou forcée, que les mœurs de l’Inde brahminique imposaient aux veuves sur le bûcher funéraire de leurs maris. On ne pourrait certes imaginer une coutume plus barbare et plus révoltante à nos yeux. Eh bien ! pour l’abolir, les Anglais ont commencé par la régulariser en exigeant de la victime une déclaration officielle qu’elle se sacrifiait de son plein