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honoraires choisis parmi les principaux indigènes, avec pouvoir de juger sans appel, mais sous le contrôle du magistrat européen, les infractions de minime importance commises dans leur ressort[1]. Mentionnons encore l’admission d’indigènes influens dans les conseils législatifs qui fonctionnent près du vice-roi ainsi que près des gouverneurs du Bengale, de Madras et de Bombay. Ces assemblées, où domine dans une forte proportion l’élément européen, sont renouvelées tous les deux ans par le gouvernement lui-même, et elles n’ont qu’une compétence fort restreinte, puisque leurs décisions ne sauraient prévaloir contre le veto du vice-roi ou du gouverneur provincial ; mais elles n’en préparent pas moins la voie à l’introduction du principe représentatif dans le gouvernement de l’Inde.

Telle est en effet la méthode déjà appliquée par l’Angleterre pour infuser le germe du self-government dans ces institutions municipales qui forment partout la base de la société politique. De tout temps, il y a eu dans l’Inde des communautés de village, que sir Henry Maine, dans son savant travail On Village communities, fait même remonter aux origines de la race aryenne. Ces petites républiques étaient administrées par un conseil d’anciens, chargé de pourvoir aux besoins généraux, d’opérer la répartition périodique des terres communes, de décider les querelles des habitants, conformément à la coutume, et enfin de répartir l’impôt pour le compte du souverain. A la tête du village, on trouvait un patel ou zemindar qui servait d’intermédiaire au gouvernement pour la levée des taxes, un patwari ou comptable, chargé de tenir les comptes et les rôles de la communauté, un mhar ou messager, « l’homme pour tout faire, » comme l’ont défini les Anglais (man of all work) ? enfin un choukidar, vrai garde champêtre, chargé non-seulement de veiller à la tranquillité publique, mais encore d’aider les agens du pouvoir central dans la découverte des crimes et dans l’arrestation des coupables. Tous ces fonctionnaires, parfois élus, plus souvent héréditaires, étaient rémunérés soit par des prestations en nature, soit par le revenu de certaines terres distraites du fond communal ; malheureusement, à la suite des guerres et des invasions qui ont dévasté l’Inde pendant les derniers siècles, cette organisation primitive a été fort ébranlée, là où elle n’a pas disparu. On ne la retrouve guère dans un état de conservation partielle que

  1. On peut dire que l’Angleterre a échoué dans ses tentatives prématurées pour introduire le jury dans l’Inde ; elle s’est rejetée sur l’institution d’assesseurs natifs, qui sont appelés à donner leur avis, sans lier le juge européen. On a beaucoup discuté l’utilité de ces personnages, qui, suivant l’habitude indigène, partagent généralement l’avis de leur supérieur. Mais j’ai entendu à plusieurs reprises des magistrats anglais affirmer que les assesseurs, grâce à leur expérience des hommes et des mœurs locales, servaient souvent, par leurs observations, à mettre le juge sur la trace de la vérité et surtout à lui faire apprécier la portée de certaines dépositions.