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titre toutes les sources de revenu ; les seconds préféreraient la taxe unique de l’empire mogol, basée sur l’absorption complète de la rente foncière par l’état. En matière d’enseignement, certains esprits préconisent l’emploi général de la langue anglaise comme véhicule de l’éducation à tous les degrés, afin d’angliciser l’Inde par le procédé qui servit à Rome pour romaniser la Gaule et l’Espagne ; les autres entendent propager les connaissances de l’Europe à l’aide des dialectes locaux, conformément à ce précepte pédagogique que, pour faire son chemin dans l’esprit des enfans, l’instruction doit y pénétrer par l’intermédiaire de leur langue maternelle[1], et, ici encore, la solution qui est intervenue est une transaction assez heureuse entre les partis extrêmes. Quoi qu’il en soit de ces opinions divergentes, toutes les autorités, et c’est là l’essentiel, sont d’accord sur le principe que l’Inde doit être gouvernée pour l’Inde, en attendant qu’elle puisse l’être par l’Inde.

L’initiative privée, qui en Angleterre est toujours à l’affût des idées généreuses, a depuis longtemps apporté son concours à cette œuvre d’émancipation. Nous ne nous étendrons point sur les missions protestantes, qui ont à peine conquis dans l’Inde anglaise 224,000 indigènes, c’est-à-dire pas même le millième de la population totale ; mais, si elles ne réussissent guère à répandre les dogmes du christianisme, elles servent par leurs livres et surtout par leurs écoles à propager l’esprit des sociétés chrétiennes, qui mine sourdement l’antique édifice de l’idolâtrie. Quant aux missions catholiques, elles comptent un chiffre d’adeptes au moins deux fois plus considérable ; mais elles ne les recrutent guère que parmi les castes inférieures de l’Inde méridionale. De nombreuses sociétés laïques travaillent de leur côté à éclairer et à moraliser le pays : au premier rang se place l’East Indian association, fondée à Londres en 1774 par sir William Jones pour devenir le centre des études et des recherches sur l’Inde ; elle possède dans les principales villes de la péninsule des branches fort actives qui réunissent autour des mêmes tribunes les esprits les plus distingués parmi les indigènes et parmi les Européens. Viennent ensuite l’Institut Dalhousie « pour le progrès social et littéraire de toutes les classes dans l’Inde, » la Société Bethune pour l’encouragement des rapports sociaux entre gentlemen des deux races, l’association formée

  1. D’après ce qu’on m’a souvent affirmé dans l’Inde, en vertu d’une expérience journalière, l’application de l’anglais à l’éducation première des indigènes, loin d’aiguiser leurs facultés, les laisse plus tard dans une situation d’infériorité intellectuelle vis-à-vis des jeunes gens qui ont reçu l’instruction en dialecte local et qui ont seulement abordé l’étude de l’anglais dans les études supérieures. La même observation a été faite, je pense, en Angleterre même, pour les écoles du pays de Galles, et elle a également surgi en Belgique, à propos des Flamands, qui dans certaines villes reçoivent l’instruction primaire en langue française.