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je motive ce qui vient d’être dit, que les avocats modernes du double étalon, avec leur nombre idolâtré de 15 1/2, sont en arrière non-seulement des économistes et publicistes du XVIIe siècle, mais des hommes publics des siècles antérieurs. Dans les monarchies européennes, depuis qu’on a englobé dans la monnaie les deux métaux, les actes de l’autorité royale, dont l’objet était de faire rester les deux métaux dans la circulation l’un à côté de l’autre, suivaient un procédé uniforme consistant à modifier le rapport légal entre les pièces de monnaie respectives, au moyen de la refonte des pièces d’un des deux métaux, le plus habituellement de l’or[1], afin de reproduire dans les monnaies le rapport entre les lingots dans le commerce. Un des exemples curieux qu’on en pourrait citer est l’édit que la reine Isabelle rendit à Médina en 1497. Le Nouveau-Monde était découvert depuis cinq ans. La quantité modique d’or, trouvée dans les Grandes-Antilles, arrivant dans l’Espagne alors très pauvre, avait suffi pour y déterminer une baisse de l’or. Les conseillers de la reine n’imaginèrent pas de prétendre que l’or avait tort de baisser relativement à l’argent, ou l’argent de hausser relativement à l’or. Il ne leur vint pas à l’idée que l’or et l’argent devaient être liés dans leurs valeurs respectives par un rapport inflexible. Ils pensèrent tout ingénument et fort sagement que, l’or s’étant déprécié en comparaison de l’argent dans le commerce, il convenait de modifier proportionnellement le rapport de valeur des monnaies des deux métaux. Le rapport légal des deux métaux monnayés était auparavant exprimé par le nombre 11 6/10e ; l’édit de Médina le rabattit à 10 7/10e.

Il n’est pas superflu de faire remarquer que le système du double étalon, avec l’accompagnement indissoluble du rapport de valeur entre les deux métaux, formulé par le nombre 15 1/2, a puisé une certaine influence dans l’organisation de l’union dite latine. C’est une association, solidaire pour le fait des monnaies, qui fut établie par une convention du 9 décembre 1865 entre la France et trois états limitrophes, l’Italie, la Belgique, la Suisse. La monnaie d’or et la monnaie d’argent, qui étaient les mêmes dans les quatre pays, doivent, aux termes de cet acte, conserver cette uniformité, avec la faculté de circulation réciproque, jusqu’à la date, malheureusement reculée, de 1880. C’était un engagement contracté en faveur du nombre 15 1/2, quand bien même les faits auraient détruit celui-ci. On se flattait de l’espoir, qui ne s’est pas réalisé, de généraliser dans le monde par ce moyen le système monétaire de la France.

  1. On a souvent aussi refondu les monnaies d’argent ; mais c’était le plus souvent pour les altérer. L’ancien régime, chez nous et chez la plupart des peuples, a été faux-monnayeur.