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L'EMPIRE DES TSARS
ET LES RUSSES

II.
LES CLASSES SOCIALES

III.
LE PAYSAN, L’EMANCIPATION DES SERFS ET SES CONSEQUENCES[1].

Un théâtre de Paris a longtemps joué cette année une pièce française, d’auteur russe et de mœurs russes, — pièce originale et incomplète, accueillie du public français avec une faveur marquée, sans en avoir peut-être été bien comprise, je veux parler des Danichef. Cette comédie, ou mieux ce drame qui peint la société russe avant l’émancipation, a pour héros un paysan, et l’on pourrait dire qu’il a pour sujet la supériorité morale du moujik. La noblesse vaniteuse et frivole, le clergé dépendant et timide, le marchand enrichi et servile font triste figure devant l’homme du peuple, devant l’ancien serf Ossip. « Cet homme est grand, cet homme vaut mieux que nous, ma mère, » dit de cet affranchi le jeune comte Danichef. Ce mot donne le sens de la pièce. La conclusion peut-être inconsciente et involontaire de ce drame rustique, c’est l’apothéose de l’homme du peuple aux dépens des classes privilégiées par la naissance, l’instruction ou la fortune. À ce point de vue, la comédie de l’Odéon, bien qu’écrite pour des Français et dans notre langue, appartient bien aux lettres russes contemporaines. Cette tendance souvent démocratique, parfois paradoxale, d’une littérature encore si mal connue de l’Europe, est une des choses qui révèlent le mieux le travail intérieur et inachevé de la société russe.

  1. Voyez la Revue de 1er avril et du 15 mai.