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Berbères se convertirent donc au Koran, mais sans abdiquer l’esprit républicain. La démocratie resta le gouvernement de leur choix. Le pouvoir judiciaire fut exercé chez eux non par un magistrat spécial, mais par la djemâa, qui réunissait tous les attributs de la souveraineté. Après la conquête de 1857, toute la contrée ayant été soumise au régime militaire, on enleva aux djemâas la juridiction répressive pour ne leur laisser de compétence qu’au civil, et on appliqua les institutions de la justice criminelle des territoires militaires, c’est-à-dire le conseil de guerre et la commission disciplinaire, tribunal inférieur siégeant au chef-lieu de la subdivision, et qui est en quelque sorte aux conseils de guerre comme la police correctionnelle à la cour d’assises.

La fréquence de rapports issus de la nécessité des échanges avait amené entre les Kabyles et les Arabes des tribus voisines ce phénomène de sociabilité qui se remarque dans tous les pays limitrophes dont les relations sont le plus ordinairement paisibles. Les deux populations avaient réciproquement débordé sur l’un et l’autre territoire. Il se trouvait ainsi en pays kabyle des tribus arabes, et elles y avaient conservé leur autonomie. Elles suivaient leurs lois particulières et avaient leurs magistrats propres. Cette situation ne présentait aucun inconvénient tant qu’il ne s’agissait que des rapports mutuels des membres d’une même communauté ou de communautés distinctes, mais régies par un même statut. Quand il s’élevait au contraire des contestations entre Arabes, et Kabyles, le règlement en offrait parfois des difficultés en l’absence de conventions intersociales écrites. La coutume était de se soumettre à la législation et au juge soit du lieu où l’on avait contracté, soit de celui où l’on se trouvait ; mais les parties ne s’entendaient pas toujours à cet égard, et il en résultait alors des luttes sanglantes. L’autorité française demeura longtemps sans songer à intervenir dans ce conflit de législations et de juridictions entre les Kanouns et la Sonna, la djemâa et la mahakma, qui ne se produisait qu’exceptionnellement. Mais après l’insurrection de 1871 le pays se trouva en proie à une désorganisation dont on jugea opportun de profiter pour y introduire diverses réformes.

Une des plus importantes fut la suppression de la djemâa comme tribunal indigène, et son remplacement par la justice de paix et notre juridiction de première instance. Cinq justices de paix et les tribunaux civils de Bougie et de Tizé-Ouzou furent en conséquence créés en Kabylie (Décret du 10 mars 1873). Ces juridictions doivent obligatoirement appliquer les lois indigènes, la Sonna dans les procès entre Arabes, les Kanouns dans les litiges entre Kabyles. Pour les contestations entre indigènes régis par des statuts