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Quand je le mis en diligente, je posai la main sur son genou, et de mon ton le plus sérieux je lui dis : — Permettez-moi, vu mon âge, de vous donner un tout petit conseil. Ne vous laissez jamais persuader par personne que vous n’êtes pas le premier homme de l’Angleterre. Adieu. » Le mot fut-il vraiment prononcé ? Les grands railleurs ne se mangent guère entre eux, et Macaulay savait mordre à l’occasion.

Ce qui est certain, c’est que la variété de ses talens, l’éclat de son nom, étaient bien capables d’importuner des réputations anciennes. Lord Brougham parait avoir été de ceux que cette gloire offusqua. A son avis, Macaulay prenait trop de place dans la Revue d’Edimbourg, et lorsque Jeffrey, à la veille d’abandonner la direction de ce recueil, voulut l’offrir au plus brillant de ses collaborateurs, Brougham réussit à l’en dissuader. Il déclarait d’ailleurs qu’il n’avait jamais lu les articles de Macaulay, ce qui était pousser un peu loin l’amour de l’impartialité. On ne peut douter d’autre part que le défenseur de la reine Caroline n’ait été l’objet favori de l’aversion de l’essayiste. Les confidences qu’il fait à ses sœurs le montrent suffisamment. Si l’on ajoute à ce nom celui de Montgomery, le poète de coterie qu’il poursuivit avec tout l’acharnement de Boileau contre Cotin, et celui de Croker, le peu scrupuleux et très rancunier commentateur de Boswell, on aura la liste presque complète de ses inimitiés littéraires. Il était bon haïsseur, surtout la plume à la main ; mais au fond, ce qu’il haïssait, c’était la réclame, le charlatanisme et l’art de se faire valoir. Sur ce point-là, jamais il ne se démentit.

Ce fut peut-être pour cette raison que les faveurs du nouveau ministère mirent un temps assez long à venir trouver l’éloquent allié du parti libéral. On lui donna d’abord la place de commissaire, puis celle de secrétaire dans le Conseil de contrôle pour les Indes. En même temps, il s’offrait à la ville de Leeds pour la représenter dans le parlement réformé, et sa franchise plaisait aux électeurs. Il refusait absolument d’accepter ce qu’on appelle aujourd’hui le mandat impératif, et terminait sa lettre par ces fières paroles : « Il n’est pas nécessaire à mon bonheur que je siège au parlement, mais il est nécessaire à mon bonheur que je garde, dans le parlement ou hors du parlement, la conscience d’avoir fait ce qui est bien. » L’occasion se présenta bientôt de faire voir que dans la réalité ces mots avaient le même sens pour lui que sous sa plume. Le gouvernement dont il tenait sa place venait de proposer un bill que le fils de Zacharie Macaulay ne pouvait voter ; il offrit à deux reprises sa démission, qu’on n’accepta pas, et put se dire que la meilleure politique c’était encore l’honnêteté. Il put se convaincre