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de brouiller les cartes ; le prince Milan et le prince Nikita ont été autorisés à entrer en campagne, et voilà pourquoi on se bat sur les bords de la Drina et du Timok.

Ce sont les mauvais procédés, disions-nous, qui ont tout gâté ; on n’a pas de peine à s’en convaincre en étudiant les pièces récemment publiées par le gouvernement anglais, et la presse britannique a raison d’affirmer que « l’insuccès du mémorandum est du surtout aux prétentions excessives de cette alliance impériale qui a été contractée à Berlin en 1872. » Si on avait l’intention sérieuse de pacifier l’Orient, il fallait s’assurer le concours de toute l’Europe, et c’était mal s’y prendre que d’humilier l’Occident par des hauteurs et de le traiter en vaincu ou en suspect. — « Dans les communications officieuses et dans les conversations entre ambassadeurs, disait naguère le Times, il semble qu’on ait toujours témoigné quelque déférence à l’Angleterre, à la France et à l’Italie ; mais dans tous les actes publics on a manifesté une tendance dominatrice et un oubli, pour ne rien dire de plus, de la dignité des autres puissances, qui ont été certainement une faute diplomatique. »

Il est très difficile de persuader au monde que le chancelier de l’empire allemand soit capable de commettre une faute, et, son silence aidant, les esprits soupçonneux, enclins à croire le mal, se sont persuadé qu’il avait agi dans toute cette affaire avec pleine connaissance de cause, que ses maladresses avaient été volontaires et préméditées, qu’il en avait prévu les conséquences. Des bruits étranges ont couru à ce sujet : s’il en faut croire une légende qui s’est accréditée jusque dans le monde diplomatique, le jour où est parvenue à Berlin la nouvelle de la révolution de Constantinople, on y a tenu des langages fort contradictoires ; on disait à l’ambassadeur de Russie : « Voilà un événement heureux pour vous, car vous ne reconnaîtrez Mourad V que s’il accepte le mémorandum ; » — et à l’ambassadeur d’Angleterre : « Les softas vous ont servi à souhait, voilà le mémorandum à vau l’eau. » Tant que le chancelier de l’empire allemand s’enveloppera dans son nuage, tant qu’il n’aura pas prononcé les paroles décisives et rassurantes que nous espérons de lui, les mauvais bruits courront et les pessimistes auront beau jeu. — Après tout, disent-ils, n’est-ce pas l’usage à Berlin de ne penser qu’à son profit et de conduire ses affaires le mieux qu’on peut ? The world to the wise. Au printemps de l’année dernière, la politique allemande nourrissait un grand projet, elle méditait une grande entreprise ; elle a été arrêtée brusquement par l’opposition de la Russie et de l’Angleterre, unies dans une même pensée et dans une égale sollicitude pour la paix générale. Avertie par cette expérience, elle a jugé qu’elle ne pouvait recouvrer la liberté de ses mouvemens et de ses résolutions qu’en rompant à jamais l’entente des cabinets de Londres et de Saint-Pétersbourg, et elle a laissé la question d’Orient se rouvrir par une insurrection dans l’Herzégovine. Son attitude et sa tactique offrent quelque analogie