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à l’exigence passionnée d’une opinion mobile ; il donnait à ses adversaires une arme redoutable, et il n’est point impossible que dans le sénat des esprits indécis, — il n’en fallait pas beaucoup pour modifier le scrutin, — n’aient saisi cette occasion de se révolter contre ce qu’on leur présentait comme une victoire de parti, comme une sommation de majorité imprudemment acceptée par le gouvernement ; mais enfin, cela fût-il vrai, eût-on commis des fautes de conduite, ce ne sont encore que des détails assez secondaires. La question par elle-même reste entière dans ses élémens essentiels, et c’est là précisément que le sénat aurait dû réfléchir avant de se prononcer ; il avait à se demander si, parce qu’une affaire était mal engagée ou entourée de quelques circonstances fâcheuses, il devait laisser l’état affaibli dans une de ses prérogatives nécessaires et risquer une démonstration qui pouvait ressembler à un acte d’hostilité contre le gouvernement. Puisqu’on lui a si bien parlé de sa mission conservatrice, puisqu’on lui a si bien rappelé qu’il était « la réflexion, la durée, la tradition du pays, » il aurait du au moment du vote peser avec plus de maturité les conditions dans lesquelles un pouvoir conservateur peut jouer utilement son rôle aujourd’hui.

L’éloquence est toute-puissante sans doute, elle l’a montré une fois de plus l’autre jour ; elle peut faire illusion un instant, elle ne change ni la logique des situations, ni la nature des choses. Une des habiletés de ceux qui ont conduit si savamment l’attaque contre la récente proposition ministérielle a été de confondre sans cesse la liberté de l’enseignement supérieur consacrée par la loi de 1875 et la participation à la collation des grades. En quoi cependant la liberté de l’instruction supérieure est-elle diminuée parce que l’état resterait exclusivement en possession du droit de conférer les grades ? Est-ce que les universités qui peuvent être créées n’ont pas la liberté complète de leurs systèmes, de leurs opinions et de leurs méthodes ? Est-ce qu’à l’époque où la loi de 1850 sur l’instruction secondaire a été votée avec le concours de M. de Falloux, de M. de Montalembert, on a cru l’enseignement moins libre, parce qu’on n’avait point enlevé à l’état la collation du diplôme de bachelier ? Que l’instruction supérieure ou secondaire se déploie librement, largement, rien de mieux, il peut en résulter une émulation généreuse et féconde. Sous ce rapport, la loi de 1875 n’a fait que compléter ce que la loi de 1850 avait commencé, et dans ces limites la liberté récemment conquise n’est ni atteinte ni sérieusement menacée. Au-delà, et c’est la distinction essentielle qu’on oublie, au-delà commence un autre droit, celui de l’état qui peut seul conférer les grades, parce que seul il est la puissance publique, la personnification supérieure de la communauté nationale, le gardien des lois, des intérêts, de la sécurité du pays, l’instrument nécessaire de la police sociale. Ce n’est pas un droit universitaire qu’il exerce au profit d’un monopole, c’est le droit