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Le sénat s’est donc trompé évidemment ; il s’est laissé aller à un vote d’entraînement ou de mauvaise humeur qui, en compromettant un droit de l’état, aurait pu créer une crise politique des plus sérieuses s’il avait eu des conséquences. Cela dit, il y a un fait qui n’est pas moins certain, c’est que la majorité de la chambre des députés a elle-même contribué singulièrement à réveiller ces velléités de résistance, à provoquer ces difficultés, ces incohérences de rapports entre tous les pouvoirs. La majorité est pleine de sagesse, dit-on ; elle est prête à toutes les transactions, elle repousse les propositions excentriques, elle n’acceptera aucune suppression dans le budget des cultes, elle laissera toute liberté à M. le garde des sceaux dans la liquidation des affaires de la commune, — et au besoin elle prodiguera au ministère les votes de confiance ! Oui, sans doute, la majorité est plus modérée en actions qu’en paroles, elle se soumet le plus souvent à la nécessité, quoique sa sagesse soit un peu intermittente : ; mais en même temps M. Benjamin Raspail menace de poursuites judiciaires les officiers de l’armée employés à la répression de 1871, et le lendemain le même M. Raspail, tout désavoué qu’il ait été par la chambre, ne se retrouve pas moins dans cette majorité qui se dit républicaine, qui témoigne sa confiance au ministère ! Croit-on que cela contribue à dissiper les équivoques, à simplifier une situation et à tranquilliser les esprits ? Qu’on prenne toutes ces motions sur la presse : il y a une proposition de M. Naquet, une proposition de M. Lisbonne, une proposition de M. Madier de Montjau, des projets d’abrogation, des projets de codification, de graves réunions de commissions, des rapports de toute sorte reprenant la question au déluge, à la déclaration des droits de l’homme, et tout cela pour arriver à quoi ? Le résultat est sans doute absolument nul, et ce n’est pas moins une agitation irritante, provocante, une sorte d’assaut décousu, organisé contre tout ce qui existe. Eh bien, c’est cette confusion anarchique qui est un danger, qui affaiblit la majorité républicaine elle-même en la compromettant par des excentricités qu’elle ne réprime quelquefois qu’avec certaines condescendances, — et qui naturellement appelle la résistance, la réaction des sentimens conservateurs. C’est là en partie le secret de ce qui vient d’arriver, et la pire des choses serait encore d’exagérer, ou de dénaturer aujourd’hui ces incidens parlementaires, de parler bruyamment de défis et de conflits entre les pouvoirs publics, de se donner l’air d’entrer en guerre en répondant à un vote par des votes de représailles.

A quel propos tout ce bruit assourdissant qui s’est fait au lendemain du dernier vote sénatorial et qui a trouvé un écho jusque dans les discussions de la seconde chambre ? Que le sénat se soit trompé, comme nous le croyons, qu’il ait agi avec un juste sentiment de la situation, comme le croient ceux qui ont réussi à le convaincre, il n’a point après tout dépassé son droit d’assemblée indépendante. Il était dans son droit