Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 16.djvu/779

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dépister les nouvellistes que le roi des Belges, au lieu de diriger son neveu vers Londres pendant ses vacances de Pâques, lui fit faire un voyage en Suisse au printemps de 1838. Ces bruits toutefois n’étaient pas même des on-dit, ce n’étaient que des conjectures, des hypothèses, comme il est si naturel d’en faire en de telles situations, et l’on peut dire que le secret fut longtemps et sérieusement gardé. Une affaire de la plus haute gravité, affaire d’état s’il en fut, avait été conduite comme un roman, — un roman anglais, bien entendu, roman de mœurs et d’éducation. Le monde, c’est-à-dire ici les cours de l’Europe, ignorait absolument ces choses intimes ; la diplomatie n’en savait pas le premier mot. Beaucoup de princes, en ce moment-là même, aspiraient à la main de la jeune souveraine, beaucoup de prétendans illustres se recommandaient ou se faisaient recommander à sa mère, la duchesse de Kent. Heureux le cousin de la reine Victoria ! Tandis que les ambitions s’agitent autour du palais de Kensington, lui, tranquille, confiant, achève son semestre à l’université de Bonn (mars-août 1838), parcourt l’Italie en compagnie du baron de Stockmar et d’un jeune officier anglais, M. Seymour (1838-1839), visite Florence avec ravissement, passe la semaine sainte à Rome, admire Naples, Capri, le Vésuve, traverse de nouveau la Péninsule, voit Pise, Gênes, Milan, Venise, et rentre en Allemagne par la Suisse. Attentif à tout, s’intéressant à tout, il complète l’étude abstraite par l’étude des réalités, et semble mettre à profit cette grande leçon de Bossuet : le vrai livre du prince est le livre du monde. Seulement, ce livre du monde, il le lit la joie dans le cœur, sous un rayon de cette lumière idéale qui fait pâlir le soleil de Naples.


II

Pendant que le roi Léopold et son confident délibèrent ainsi sur le rôle qui s’offre au prince Albert, pendant qu’ils règlent l’emploi de ses jours avec tant de soin et de conscience, que se passe-t-il à la cour de Londres ? En 1836, quand le duc de Saxe-Cobourg amenait ses deux fils au palais de Kensington, chez leur tante la duchesse de Kent, c’était Guillaume IV qui régnait sur l’Angleterre. On sait qu’il avait succédé le 26 juin 1830 à son frère George IV. Né en 1765, le troisième des fils de George III avait déjà soixante-cinq ans lorsqu’il fut appelé au trône. C’était un homme bienveillant, débonnaire, d’un tempérament assez vif, mais qui ne se distinguait, dit M. Ernest de Stockmar, ni par le caractère ni par l’intelligence ; il s’imaginait pourtant avoir des idées politiques et les influences qui l’entouraient mettant cette prétention à profit,