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un débat sur la situation inconstitutionnelle d’un étranger, M. le baron de Stockmar, auprès de la reine Victoria. Lord Melbourne répondit que les services de Stockmar dans la maison de la reine comblaient une véritable lacune, qu’il le savait très bien pour sa part et y avait donné son assentiment. Cette fois les choses n’allèrent pas plus loin. Cependant les plaintes se renouvelèrent par intervalles. « J’aime beaucoup le roi Léopold et le baron de Stockmar, disait un jour lord Melbourne, j’apprécie leur bonté comme leur esprit, mais il me déplaît d’entendre dire à mes amis que je subis leur influence. Cela n’est pas, je le sais bien, mais il me déplaît fort que nos amis tiennent ce langage. » Qu’y avait-il à faire pour le conseiller de la jeune reine ? À redoubler de prudence et de tact. Stockmar n’y manqua point, et ce qu’il y a de plus remarquable en toute cette affaire, c’est que, malgré tant de défiances, dans une heure si difficile, au milieu de partis si animés l’un contre l’autre, l’attaque ne se produisit ni à la chambre des communes ni à la chambre des lords. Stockmar, informé par lord Melbourne de l’espèce de menace qu’avait insinuée le président des communes, avait répondu simplement, sans jactance comme sans faiblesse : « Dites à M. Abercromby qu’il peut me faire attaquer à la chambre, je saurai me défendre. »

C’est en se rappelant ces heures de crise que la reine Victoria, dans le touchant livre des Early years, a fait rendre un si bel hommage à la mémoire du baron de Stockmar. « Le baron ! pour tous ceux qui ont eu le bonheur de le connaître pendant ses longues années de résidence à la cour d’Angleterre, son souvenir s’associera toujours à ce qu’ils ont pu connaître de meilleur et de plus fidèle. Il vivra longtemps à la cour comme un nom que la famille revendique, ce nom si cher : le baron ! Quel membre de la famille de la reine n’aurait à signaler de sa part des actes de cordiale et discrète amitié ? Mais surtout, qu’était-il pour les objets principaux de sa sollicitude ? Rarement ni reine ni prince n’eut la chance de recevoir pareille bénédiction, de rencontrer un tel ami, un ami dans le vrai sens du mot, et avec cela un conseiller si sage, si judicieux, si honnête[1]. »

La reine avait encore un autre ami qui, dans plus d’une circonstance, s’offrait à elle comme un secrétaire intime, c’était le chef même du cabinet, lord Melbourne. On connaît le caractère de lord Melbourne, on sait quelles étaient sa bonne grâce dans les relations sociales et sa modération en politique ;


Esprit né pour la cour et maître en l’art de plaire,

  1. Early years, p. 186-187.