Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 16.djvu/788

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

misérable occasion d’humilier leurs adversaires. N’importe, l’enquête est faite, et, fort heureusement pour lady Flora, les accusateurs sont confondus : lady Flora est la plus honnête fille d’Angleterre. Ah ! désormais c’est aux parens de l’accusée de jeter les hauts cris. Appuyée suc l’enquête, la famille Hastings dénonce toute cette affaire comme une intrigue odieuse et demande que les coupables soient châtiés ; les coupables, ce sont des whigs. Est-il besoin de dire combien ces clameurs agitaient les esprits ? Sur ces entrefaites, lady Flora Hastings vint à mourir, et l’autopsie constata chez elle un mal organique profondément caché ; c’était ce mal qui avait déformé sa taille, flétri son visage et attiré sur la pauvre fille un soupçon de déshonneur. Sa vie était condamnée sans doute ; qui sait pourtant si l’odieux soupçon n’avait pas avancé l’heure de sa mort ? Cette idée causa une irritation profonde dans les plus hauts rangs de la société anglaise, et sur qui retombaient ces colères ? Sur la reine des whigs.

Quant au public, beaucoup moins intéressé dans cette affaire que l’aristocratie opposante, simple témoin de ces tristes débats de personnes, il commençait à regretter de ne pas voir auprès du trône un guide et un soutien. Dans un sentiment de loyalty auquel se mêlait comme toujours l’instinct des choses pratiques, tous les enfans de la vieille Angleterre, whigs ou tories, amis ou ennemis de lord Melbourne, se demandaient avec une certaine inquiétude : quand donc se mariera la jeune reine ?


III

Faut-il rechercher pourquoi la reine Victoria, une fois son choix arrêté sur son cousin le prince Albert, retarda aussi longtemps l’heure de la décision officielle et suprême ? La question serait indiscrète, si la reine n’en avait parlé elle-même avec une singulière vivacité. Cet ajournement inexplicable, c’est elle qui s’en accuse. On dirait qu’à ce souvenir le rouge lui monte au visage. « La reine, écrit-elle en son journal, ne peut penser aujourd’hui sans indignation contre elle-même au désir qu’elle a eu de faire attendre le prince pendant trois ou quatre ans, au risque de ruiner tous ses plans d’avenir, jusqu’à ce qu’elle se sentit disposée à se marier. Le prince lui a confessé depuis qu’il était venu à Londres en 1839 avec l’intention de lui déclarer que, si elle ne pouvait se décider encore, elle devait comprendre qu’il ne pût attendre plus longtemps sa décision, comme il l’avait fait en 1836 après leur première entrevue. La seule chose que la reine ait à dire pour son excuse, c’est que ce passage subit de sa vie de recluse de Kensington à l’indépendance de sa vie de reine régnante, à l’âge de dix-huit ans, avait éloigné