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comme ami et conseiller de la famille, de négocier les termes du contrat avec le ministère. Il avait particulièrement affaire à lord Palmerston. Arrivé à Londres le 9 janvier 1840, il s’empressa d’aller trouver le noble lord à Carlton Terrace. « Je le trouvai, dit-il, fort distrait et très fatigué ; il me félicita pourtant de la façon la plus cordiale, assurant que de tous les mariages possibles pour la reine, celui-là était à ses yeux le plus digne d’approbation. Nous eûmes ensuite un entretien à fond sur toutes les formalités nécessaires. » Quelques jours après, Stockmar écrit les notes que voici : « les ultra-tories manifestent contre le prince des préventions défavorables ; il est impossible de méconnaître à ce propos l’influence du roi de Hanovre Ernest-Auguste[1]. Ils prétendent que le prince est un radical et un infidèle. Ils disent que la reine aurait du épouser Georges Cambridge ou un prince d’Orange. Quant à l’opinion générale, la résolution que la reine a prise de se marier, pour répondre à des exigences venues de tous les côtés, cette résolution ayant pour effet d’écarter l’éventualité très désagréable au pays de la succession du roi Ernest-Auguste et de sa race, a relevé la popularité de la reine, et donnera un peu plus de force pour quelque temps au ministère Melbourne, toujours menacé par sa faiblesse intérieure. Quant à la personne du fiancé, le public se montre assez indifférent ; toutefois j’entends dire généralement qu’il est trop jeune. »

La malveillance des tories éclata dans la chambre des lords dès le lendemain de la séance royale. Le duc de Wellington demanda que ces mots prince protestant, ajoutés au nom du prince Albert, fussent insérés dans l’adresse. C’était une attaque directe contre le gouvernement ; on lui reprochait de n’avoir pas indiqué la religion du prince dans la déclaration faite au conseil privé le 23 novembre 1839. N’était-ce là qu’une taquinerie ? Le duc et ses amis feignaient-ils d’ignorer un point qui ne faisait doute pour personne ? Croyaient-ils véritablement que la reine allait épouser un catholique et s’exposer, selon la dure loi anglaise, à une accusation de forfaiture ? C’eût été une malice parlementaire d’un goût équivoque. On se serait trompé cependant, si on eût dédaigné la chose comme une

  1. Le roi de Hanovre Ernest-Auguste était un des fils du roi d’Angleterre George III, un des frères de George IV et de Guillaume IV. Frère puîné du duc de Kent, dont la reine Victoria représentait les droits, il était devenu roi de Hanovre en 1837, à l’avènement de sa nièce. Nous avons déjà dit que le Hanovre, fief masculin de la maison de Brunswick, devait être détaché de la couronne d’Angleterre, le jour où une femme occuperait le trône de la Grande-Bretagne. Si donc la reine Victoria fut morte sans héritier, le roi de Hanovre ou son fils l’aurait remplacée sur le trône d’Angleterre, et le royaume de Hanovre eût appartenu à celui de ses frères qui serait venu immédiatement après lui. Il y avait là bien des intérêts engagés, par conséquent bien des cas à prévoir.