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avait désormais le métropolitain pour complice : au tronc mutilé se rattachèrent peu à peu les membres dispersés de l’empire des Varègues.

Il est difficile d’arrêter les nations sur la pente de la décadence ; tout conspire alors à leur nuire. Les peuples au contraire pour qui est enfin venue l’heure du plein développement, auquel toute race sur ce globe aspire, ont à peine besoin qu’un effort humain les seconde. Les erreurs populaires et les fautes des princes tournent à leur profit ; les colères, du ciel les atteignent, sans paraître retarder d’un instant leur croissance. Ils grandissent, comme le flot coule, comme le blé mûrit, par un phénomène naturel. Dans cette loi fatale, le philosophe est libre de ne voir que l’inanité de nos grands projets et le peu que nous sommes ; l’homme d’état se doit d’en observer avec attention les effets et d’y accommoder autant qu’il le peut sa politique. La puissance militaire de la Russie date du règne d’Ivan III, qui monta sur le trône en 1462. Cette puissance fut fondée le jour où le fils de Vasili l’aveugle mit sa personne sous la garde des strelitz, comme Orkhan avait mis la sienne sous la protection des janissaires. Les peuplades remuantes qui s’attardaient sur le sol évacué par les petits-fils de Djinghis-khan, éprouvèrent, les premières, le poids du nouveau glaive. Ivan III les refoule étonnées dans Kazarc, puis s’en va vers le nord soumettre Novgorod, conquérir Vologda, reculer jusqu’aux monts Ourals la domination moscovite. Maître de Pskof[1], rentré en possession de Smolensk, qui depuis cent-dix ans subissait l’occupation étrangère, Vasili IV, le successeur d’Ivan, a cessé d’être aux yeux de l’Allemagne le chef d’un peuple à demi sauvage. Le titre oriental dont les princes de Moscou se sont revêtus suffit pour abuser l’envoyé de Maximilien. Il y a de nouveau deux césars et deux empereurs dans le monde.

En vain Vasili IV a-t-il payé la conquête de Smolensk par la plus sanglante des défaites, en vain a-t-il consenti à rendre un humiliant hommage au khan de Crimée ; le baron Herberstein n’en décerne pas moins au tsar moscovite le nom auguste devant lequel les fronts de tous les rois s’inclinent. Dans les actes acceptés par la chancellerie germanique, Vasili IV marchera de pair avec Charles-Quint. Pour qu’une pareille illusion fût possible, il n’avait pas seulement fallu la dispersion de la nation mongole ; il n’était pas moins nécessaire que la chute de Constantinople précédât le règne d’Ivan III. Etourdi de ce coup funeste, le vieil Orient cherchait partout un

  1. Pskof ou Pleskof, à 270 kilomètres sud-sud-ouest de Saint-Pétersbourg, par 59° 49’ de latitude nord et 20° de longitude est.