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il avait été prié de lui dire, si cela pouvait être utile à son journal, qu’on lui donnerait des nouvelles quotidiennes des opérations militaires qui allaient commencer dans le nord de la France ; le prince de Joinville et le duc d’Aumale étaient allés à Lille pour prendre le commandement des troupes qui devaient agir contre le président. La famille royale avait en vain tenté d’empêcher le prince de Joinville de prendre cette résolution ; voyant qu’il était décidé, le duc d’Aumale aurait dit : « Mon frère est un marin, il ne connaît pas les opérations militaires, je suis un soldat, je vais avec lui et je vais partager son sort et sa fortune. » M. Borthwick me dit qu’il avait refusé de recevoir les communications qu’on lui offrait, qu’il ne voulait point que son journal fût regardé comme l’organe des d’Orléans, et comme on ne lui avait point demandé le secret, il était venu tout me dire. »

Est-il nécessaire de continuer ce roman ? Palmerston met en mouvement la police de Claremont, il apprend que le duc d’Aumale est à Naples ; le prince de Joinville est retenu dans sa chambre par une indisposition, « personne ne l’avait vu que son médecin, qui le visitait deux fois par jour. Ce rapport montrait clairement que Joinville était parti. » Quelques jours après, il reçoit une lettre de son frère, ministre à Naples, lettre écrite avant qu’on ait eu connaissance à Naples du coup d’état. On lui apprenait que le duc était parti précipitamment pour l’Angleterre, en prétextant des nouvelles qu’il avait reçues de la santé de sa mère. Voilà le complot révélé par M. de Rumigny bien établi. « D’Aumale avait évidemment, par un arrangement concerté, quitté Naples pour joindre Joinville un jour donné, dans un lieu donné, et cela prouve qu’il y avait eu un complot longtemps médité contre le président. » Veut-on une dernière preuve ? « Une quinzaine de jours ou trois semaines après, le comte Lavradio, le ministre portugais à Londres, alla à Claremont faire visite à la princesse de Joinville, qui est Brésilienne, et la trouva tout éplorée par suite du tour que les affaires avaient pris, et rien ne pouvait être plus affligeant « et pour moi qui devais être à Paris le 20 ! »

Voilà l’acte d’accusation que Palmerston rédigeait à loisir quelques années après le coup d’état ; il lui importait de faire croire que le président n’avait fait qu’un acte de légitime défense. Ceux qui connaissent les personnages qu’il met en jeu ne sauront qu’admirer le plus, la candeur du général de Rumigny, cette conspiration savante ourdie dans une chambre de malade à Claremont en même temps qu’à Naples, cette princesse « en pleurs, » ces dames d’honneur qui font leurs malles. Ce « mémorandum » cesse d’être risible, quand on sait que ce qui s’imprime aujourd’hui a été soufflé tout bas dans les oreilles d’une foule de personnes dont le coup d’état