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au « conseil des délégués, » ce qui semblerait dérisoire, le budget de l’année, mais de le présenter à un conseil supérieur du trésor, composé de cinq Européens et d’un nombre égal de sujets indigènes, Cette disposition contient l’aveu implicite de l’impuissance et du discrédit profonds où sont tombés les « délégués de la population. »


II.

Une mesure vraiment politique, et dont les conséquences pourront être durables, est celle qu’a prise le vice-roi lorsqu’il a sollicité à Constantinople l’hérédité directe pour ses enfans. L’ordre de succession dans la famille de Méhémet-Ali a été réglé par le traité de 1841. Cet instrument diplomatique est resté l’un des actes les plus iniques de la politique contemporaine, dicté par la force au service des intérêts les moins avouables. L’Angleterre a « tiré les marrons du feu » pour la Russie, en mettant obstacle à la régénération de l’empire ottoman, que Méhémet-Ali pouvait seul accomplir. Avec la lettre des traités qui consacrent l’indépendance de cet empire, elle a tué l’esprit de ces mêmes traités. La Russie, en prêtant les mains à cette fausse politique qui a lâché la proie pour l’ombre, est restée dans son rôle d’adversaire de l’empire ottoman, et son gouvernement a satisfait en même temps l’antipathie puérile de Nicolas contre la dynastie de juillet en France. L’Angleterre contentait aussi des sentimens jaloux heureusement dissipés. Comme il arrive souvent dans le monde, ces petites causes eurent de grands effets. Méhémet-Ali fut découragé ; Ibrahim-Pacha fut chassé de la Syrie et l’Angleterre trompée sur les suites du coup mortel qu’elle venait de porter à l’empire dans la fausse pensée d’en sauvegarder l’intégrité, aida le faible suzerain de Consiantinople à mettre le pied sur la gorge de son redoutable vassal. Ce fut le triomphe complet de la Russie, et l’Angleterre en fut convaincue trop tard, lorsque, douze ans après, elle se vit face à face en Crimée avec son ancienne alliée de 1841 et qu’elle dut s’empresser de laisser prendre à la France une revanche digne d’elle en lui donnant l’occasion de couvrir de sa protection l’armée britannique, menacée vingt fois d’être jetée à la mer par sa complice de la guerre contre le régénérateur de l’Égypte.

Le sultan régla la succession de Méhémet-Ali selon l’usage ottoman en réservant seulement au fils du grand-pacha, l’illustre Ibrahim, la vice-royauté après la mort de son père. Ce fut une exception. Le firman rendu à Constantinople le 18 février 1841, afin de consacrer les droits héréditaires de la dynastie en Égypte, détermina en termes précis les conditions de la succession au trône